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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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triomphes aériens, quand toutes les voix des combattants que l’on avait déjà pu entendre criaient : « Mais où sont donc nos avions ? »
    L’indécence del’ Action Française était devenue insurpassable. Je rougissais d’avoir si longtemps toléré de vivre dans ses murs et de respirer ses relents de vieux placard. Le pire Juif n’eût pu envier à Maurras sa diatribe sur le Barbare allemand, « Européen inférieur, voire même dégénéré ». Dans un seul numéro, on admirait d’abord cette troisième manchette historique :
    « Après la bataille des machines, voici celle des hommes. À celle-là, nous devons gagner. »
    Thierry Maulnier « tenait solidement Calais » perdu depuis deux jours. Maurras enfin répondait à M. André Billy. M. Billy avait fait dans Le Figaro son grand examen de conscience et se demandait si nous n’étions pas envahis « parce que nous avions trop aimé la littérature ». Maurras s’exclamait que nous avions en effet beaucoup trop aimé Baudelaire, mais que jamais on ne cultiverait assez l’art grand et salubre, celui de MM. les poètes Pierre Pascal, Jacques Reynaud et Charles Forot.
    Le général Weygand venait de signer une instruction sur le tir au fusil contre les chars, dont tous les états-majors ont dû garder le souvenir. Il y était rappelé aux fantassins qu’ils possédaient dans leurs propres mains, avec leurs Lebels et leurs fusils-mitrailleurs, des armes excellentes pour arrêter les blindés ; qu’il importait simplement de diriger avec sang-froid sur les fentes de visée des feux très nourris. Dix lignes plus loin, on prescrivait, étant donné les faibles stocks de munitions appropriées, de ne jamais tirer plus de deux ou trois balles à la fois.
    Je devenais enragé. Le lundi 27, j’avais un rendez-vous avec Alain Laubreaux, au « marbre » de Candide. J’y tombai sur Pierre Gaxotte. La rencontre était dépourvue d’agréments pour lui aussi bien que pour moi. Je ne lui avais pas donné un seul signe de vie depuis sa désertion de janvier. Lui, l’ami si cher du beau temps de notre fascisme, quand nous étions chaque jour ses confidents, me voyait en uniforme pour la première fois. Nous échangeâmes une poignée de mains affreuse, comme par-dessus les cadavres de nos souvenirs. J’avais, sans y prendre, on peut m’en croire, la moindre peine, mon air le plus sombre et le plus amer.
    — Eh bien ! Gaxotte. Elle est réussie, leur guerre.
    Il me regarda d’un œil égaré, en me coupant précipitamment la parole :
    — La période de surprise est passée, me dit-il. Il s’agissait de découvrir la riposte à leurs blindés. C’est fait, on a trouvé. C’était bête comme chou : le 75. Il tire à vue et il perce tous les chars. Et nous avons des quantités de 75. Il n’y a plus qu’à faire une barrière de 75. Ils vont tout démolir. L’attaque allemande va être stoppée sur place.
    À mesure qu’il parlait d’espoir, son visage se décomposait. Je n’avais jamais vu une pareille abdication de l’intelligence. Il n’avait pas été capable de surmonter en janvier ses craintes et ses scrupules. Il s’était fourvoyé dans le pire des partis, celui des incendiaires, des Juifs et des vieillards chauvins. Il en blêmissait d’effroi. Il cherchait à s’aveugler dans un flux d’optimisme, sa lucidité était trop grande pour qu’il y parvint. Je sentais le drame atroce et pitoyable qui le déchirait, ses remords devant ses amis trahis. Sa faiblesse, son désarroi étaient trop grands pour qu’il pût se dominer, faire une volte-face. Il ne lui restait plus qu’à s’enferrer. Il disait des mots de confiance et sa voix rendait un son désespéré. Il se sentait honteux de dévider devant moi de si puériles sottises, mais il fallait cependant qu’il s’étourdît de paroles, sans me laisser le temps de répondre, comme l’on chante pour ne pas entendre claquer ses mâchoires dans une nuit de cauchemar.
    — Il suffisait d’y penser… Des 75 en ligne, de la mer à Belfort. Ce n’est pas difficile… Un canon pour chaque char.
    J’étais figé, muet. Je pus enfin bredouiller n’importe quoi et m’enfuir, les larmes aux yeux, soulevé de tristesse et de dégoût. Quelques heures plus tard, on me donnait l’assurance que Gaxotte et Mandel avaient depuis plusieurs semaines des rapports très suivis, et qu’ils venaient à diverses reprises de déjeuner ensemble.
    * * *
    Dans la même

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