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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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assurait-on. J’étais chargé de lui inculquer dans la matinée qui venait la science de l’armée italienne, de graver dans son crâne les « mostrine » et les cent et quelques insignes des soldats de Mussolini.
    Le capitaine L. T… tenait provisoirement en réserve ses parachutistes :
    — Je viens d’apprendre qu’il y a en gare de Modane dix wagons de manganèse à destination de l’Italie. Il faut absolument que nous les chopions à ces salopards. Ça sera toujours ça de moins pour leurs aciéries. Dix wagons de manganèse, c’est un joli lot. Il n’y a qu’à les retenir sous un prétexte quelconque de paperasses. Ou, tenez, mieux encore : les aiguiller comme par erreur sur une fausse direction : Clermont-Ferrand ou Angoulême, au diable vauvert, qu’il faille quinze jours pour les retrouver. D’ici là, vous pensez bien que la frontière sera fermée.
    L’idée, par hasard, était pratique et simple. Nous nous attaquâmes sur-le-champ à son exécution. La S. N. C. F., pressentie, donnait son accord complet. Elle allait perdre les wagons pour aussi longtemps que nous le souhaiterions. Il lui suffisait d’un papier revêtu d’une signature militaire. Le capitaine L. T…, tout bouillant, tranchait : « Je vais leur rédiger ça en trois lignes et le parapher. Je ne veux plus des formes et des filières. Nous sommes en guerre, bon Dieu ! Il faut agir vite.
    Je le regardais déjà avec une admiration neuve. Mais, après une minute de mûre réflexion :
    — Il vaut tout de même mieux en référer au colonel. J’y cours.
    Deux heures plus tard, le colonel et le général du S. R. avaient trouvé la décision trop considérable pour leur ressort. Ils suggéraient que l’on sollicitât la couverture du G. Q. G. Le G. Q. G. faisait savoir, après une longue conférence, qu’il ne voulait rien se permettre dans cet ordre de choses, qui touchait à la politique, sans l’avis du ministère de la Défense Nationale. Celui-ci ne se connaissait aucun personnage habilité pour répondre. On en découvrait un enfin qui réclamait un supplément d’information pour le transmettre au Quai d’Orsay qui statuerait. Vingt-quatre heures s’étaient écoulées. Le capitaine L. T…, animé d’un noble courroux, rédigeait l’ordre. Mais au moment d’y tracer sa griffe, il posait sa plume, ressaisi par ses remords hiérarchiques :
    — Ce n’est décidément pas régulier. Si nous essayions d’arranger ça avec le colonel Paquin, au bureau des Transports ?
    * * *
    J’avais eu une altercation assez orageuse avec le bourgeois de la rue de Marignan, le confident d’élection de Maurras. Il affectait toujours une souriante désinvolture et comme je ne cherchais point à lui dissimuler mon humeur farouche :
    — À la fin, me dit-il, que veux-tu ? que mijotes-tu encore dans ta tête ?
    — Je me dis que si nous en sommes là, c’est le chef-d’œuvre de ces [cochons de] crétins d’Anglais et ça m’étrangle. Je pense que si nous n’étions pas les derniers des c… nous trouverions bien un moyen…
    Le bourgeois s’était raidi, son petit ventre en avant :
    — Ah ! non, c’est assez, tu m’entends. Je ne permettrai plus ça devant moi. La Royal Air Force est sublime. Si nous ne l’avions pas pour charger les tanks, nous n’aurions pas tenu, Paris serait peut-être pris. J’en ai assez de ton anglophobie. Je ne veux plus entendre cette scie ou bien je te fous à la porte, toi et toute ta bande de Je Suis Partout. Et je vous ferai dire votre fait par Maurras, dansl ’Action Française.
    J’allais exploser. Il le sentit sans doute.
    — Allons, reprit-il, d’un ton radouci, tu es énervé par tout ça. Viens dîner demain soir avec le patron. Il te remettra d’aplomb. Te vous ferai un aïoli.
    Ce lendemain était le mercredi 29 mai. J’avais accepté le rendez-vous. Je restais curieux de voir encore une fois Maurras de près, sorti de ses lamentables articles, de connaître exactement ses pensées. Je ne désespérais pas absolument de lui offrir par mes renseignements militaires quelque matière à réflexion.
    Je venais d’apprendre, avec indignation mais sans grande surprise, les perquisitions qu’avait ordonnées Mandel chez Charles Lesca, puis chez Brasillach, son appartement mis à sac, sa bibliothèque fouillée, tandis qu’il recevait des bombes sur la ligne Maginot. Le bourgeois, qui lisait sur le Temps les dernières nouvelles de

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