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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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qu’une mécanique déraillée, disloquée, irréparable ?
    Maurras ne pouvait donc plus s’évader de l’impasse où le premier jour cette guerre l’avait bloqué. Lui qui savait bien les origines infâmes de la tuerie, comment la France y avait été entraînée de force, il en perdait tout souvenir quand nous avions encore le moyen d’exciper devant l’ennemi de cette contrainte, justifier notre décrochage de l’Anglais, nous dégager d’un combat mortel où nous avions été stupidement fourvoyés. Il se refusait à jouer cette chance suprême, il préférait de sang-froid l’anéantissement du pays. Le vieux royaliste, si bien instruit de tous les traités, toutes les habiletés de notre Histoire, auteur de tant de pages sur les massacres républicains, s’enfonçait dans la guerre inexpiable, totale, la « guerre d’enfer » la plus épouvantablement démocratique.
    — On ne traite pas avec le Boche. Il n’y a pas de paix possible avec lui. Il faut lutter jusqu’au bout.
    N’y étions-nous point déjà ?
    Maurras, en scandant ses paroles, ses yeux pesant sur les miens, me traversait de ses regards. Je secouais lentement la tête, sans un mot, d’un air si funèbre, que je savais bien qu’il ne s’y tromperait pas.
    Dans la même nuit, apparemment pour répondre à ceux qu’il devinait derrière ma modeste personne, Maurras écrivait dansl ’Action Française   :
    « JUSQU’AU BOUT   »
    « Plus on a été opposé à la déclaration de guerre du 3 septembre dernier pour les raisons les plus fortes, les plus claires et les plus sensibles – et plus on voit avec clarté qu’il importe de mener cette guerre jusqu’au bout.
    Antérieurement à sa déclaration, peut-être y avait-il d’autres façons d’occuper et de préparer l’avenir. Il n’y en a plus qu’une aujourd’hui : c’est d’être vainqueur.
    Sans la victoire tout est perdu.
    Pour la France,
    Pour les Français pris un par un,
    Pour le reste de l’univers.
    … À celui d’entre nous qui rêverait de mettre bas les armes ou qui se le laisserait conseiller, il faut avoir soin de spécifier que, par-là même, il en finirait avec l’espérance.
    … Vous vous insurgerez quand on aura pris votre femme ou votre maison, estropié ou dépravé vos enfants, mais comme on n’aura pas pris en même temps la femme et la maison de votre voisin, comme ses enfants seront encore intacts, vous serez seul.
    … Vous pouvez encore beaucoup, vous pouvez tout, maintenant que vous restez une nation possédant des canons, des avions (!), des chars (!) avec des régiments exercés à les manier. Mais si ces régiments viennent à être dispersés et ces armes à être rendues, vous serez dispersés et rendus avec eux, et vous descendrez au néant… Tout serait effondré avec l’idée de la victoire. Et l’effondrement marquerait la ruine de toute liberté particulière, de tout droit particulier, accablés sous le chariot d’une Barbarie délirante.
    … Dès lors, nous battre est honorable certes.
    … Mais c’est d’abord nécessaire : de la plus stricte, de la plus urgente et de la plus entière nécessité. »
    Maurras fignolait volontiers son propre monument. Ce texte, daté du 30 mai 1940, me semble être de ceux qui endommagent fort un socle. »
    * * *
    — Vous avez vu Maurras ? me demandait le lendemain matin le capitaine L. T… Vous a-t-il parlé de l’Italie ?
    — Quelque peu… « Il faut négocier. L’esprit romain ne peut faire cause commune avec les suppôts de la sauvagerie. Les Faisceaux ne peuvent s’unir à la horde d’Hitler. Leur place est auprès de nous. » Enfin, tous ses papiers de ces derniers jours.
    — Justement. Ces articles ne sont plus possibles. On n’a plus le droit de laisser Maurras dégoiser de pareilles insanités. Il se ridiculise et il nous ridiculise tous avec lui devant ces canailles qui d’un instant à l’autre vont nous attaquer. Tout ce que peut faire Maurras, c’est de désorienter les esprits. Il n’y a plus à invoquer la fraternité latine, mais à se préparer pour la bataille sur les Alpes. Voulez-vous vous charger d’aller le lui dire, en lui faisant comprendre, discrètement, mais fermement, que c’est de notre part ?
    Je ne pouvais guère me dérober à cette petite mission. Je ne doutais point que le capitaine L. T… m’en eût aussi bien chargé si j’avais déjà appartenu au S. R. l’été précédent, quand Maurras s’escrimait

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