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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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banquier.
    Loewenstein ne portait à peu près aucun stigmate de sa race, mais plutôt une sorte de flétrissure inquiétante, l’œil pâle et trouble, des cheveux noirs calamistrés, outrageusement longs et épais sous un képi trop haut et trop bahuté, une affectation presque caricaturale du chic « cavalier », avec une cravache de chasse douteuse et des bottes vernies aux talons éculés, un mélange de sous-off prétentieux et de barbeau de sous-préfecture qui se flatte d’élégance tout en restant mal lavé.
    Je vis bientôt apparaître aussi notre chef, le capitaine L…, que l’on donnait pour un important bijoutier dans le civil, grand, massif, avec un mufle rogue et noiraud qui ne pouvait être que celui d’une brute suffisante. Le capitaine L… devait tenir du reste à nous le prouver sur l’heure. Trois ouvrières en cheveux venaient de sortir d’une maison voisine et se dirigeaient vers le bout du village. L… barrait la route, omnipotent, les bottes écartées, les mains derrière le dos agaçant la cravache, la fine de son déjeuner aux joues. Les femmes passèrent à côté de lui. Elles avaient fait dix mètres à peine qu’il aboya :
    — Brigadier, vérifiez l’identité de ces trois-là.
    Les ouvrières s’étaient arrêtées interdites.
    — Mais on est du pays ! on habite à vingt pas. On va à notre travail à cinq minutes d’ici.
    L’une d’elles était polonaise, et parlait un français un peu hésitant. L… fit siffler un petit coup de cravache.
    — Allez ! deux hommes en armes ! foutez-moi tout ça dedans, illico.
    La Polonaise roulait des yeux effarés. Mais l’une de ses camarades, tout à fait Française celle-là, une grosse rouquine visiblement forte en gueule, se défendait avec vigueur.
    Nos trois hommes sont mobilisés. Alors, pendant qu’ils sont en train de se faire crever la paillasse, est-ce qu’on n’a même plus le droit d’aller gagner son pauvre bifteack ?
    La cravache de L… siffla de nouveau.
    — Allez ! allez ! au bloc, et en vitesse.
    Il s’éloigna très fier de lui, trop épais pour sentir dans son dos la haine qui chargeait les regards de vingt hommes. Mais il put entendre la voix de la rouquine, qui se débattait derrière le poste parmi les gradés :
    — Si c’est comme ça qu’on fait la guerre, je comprends pourquoi on n’a pas arrêté les Boches.
    * * *
    Vers onze heures du soir, nous nous assoupissions tant bien que mal dans le poste, une masure abandonnée, fétide et encombrée de nos corps. Un brusque jet de lumière nous fit sursauter. Une voix dramatique commandait :
    — Six hommes en armes. Vite ! Vite ! Les six premiers. C’est urgent.
    Je reconnus le maréchal des logis Loewenstein, une lampe électrique à la main gauche, un pistolet à la droite.
    Nous empoignâmes nos Lebels dans un grand fracas. Loewenstein commanda :
    — Derrière moi, un par un, au pas gymnastique.
    Au bout de deux cents mètres, nous fîmes halte devant une maison.
    — Chargez vos fusils, souffla Loewenstein. Et maintenant, doucement. Pas de bruit. Et surtout du sang-froid ! C’en est un. C’est la deuxième nuit que je le surveille. Je l’ai bien repéré à sa lampe. Ce coup-là, nous le tenons. En avant !
    Nous nous engageâmes sur la pointe des godillots dans un petit sentier descendant, Loewenstein admirablement romantique, genoux infléchis, cou tendu, le doigt sur la détente. J’admirais le magnifique enchaînement de circonstances qui amenait un avocat, un honnête homme de plume et quatre pères de familles rassis à jouer aux Indiens Comanches derrière un énergumène juif, en pleine nuit, à cinq cents pas de la route de Quarante-Sous.
    De hautes orties garnissaient les fossés du chemin.
    — Piquez là-dedans avec votre baïonnette, murmura Loewenstein. Il est passé par là. Il s’est peut-être caché dans le fossé.
    En nous escrimant avec des « rrân » féroces, nous arrivâmes bientôt à la porte d’un verger clos de murs où conduisait le chemin.
    — Nous y sommes, fit Loewenstein solennellement. Il est là, il n’a pas pu aller plus loin. Il est armé, mais ne vous affolez pas. Ne tirez pas les premiers. Tâchons de l’avoir vivant. Vous, et vous, sautez le mur.
    — Mais, chef, il serait peut-être plus simple d’entrer par la porte.
    — Bien. Passez les premiers.
    On ouvrit la porte d’un coup de pied. Nous étions devant un petit champ de poiriers.
    — Il a dû se terrer

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