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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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l’après-midi, j’affrontai à la lumière du jour mon malheureux appartement. Je me mis en civil pour la dernière fois et partis pour le Bois la pipe au bec, triste, angoissé, mais de plein sang-froid. Je crois que j’aurais fort aisément pu demeurer dans mon coin à Neuilly, durant des semaines, sans qu’aucune autorité militaire eût l’idée de m’y rechercher. Il eût été en tout cas fort loisible à Laubreaux et Lesca de gagner en province quelque amicale retraite et d’y attendre les événements, en déjouant le mieux du monde Mandel et ses flics. Mais c’était là une idée de coupables, qui ne pouvait les effleurer. Ces dangereux traîtres attendaient les volontés du pouvoir sous leur toit ! Ce seul fait disait l’inanité de l’effroyable accusation qui pesait sur nous. Il était malheureusement certain que ni les enquêteurs ni l’opinion ne s’en souviendraient.
    * * *
    On m’avait appris à l’École Militaire que le renfort dans lequel je comptais serait dirigé sur le centre de Poissy, où l’on formait en toute hâte des unités cuirassées. J’étais soigné. Mais tout valait mieux que le capitaine L. T…, l’élégant « Demidoff », le B. R., la Petite Sœur Thérèse et la hantise du flic à chacun de mes pas. Je voulais me fermer désormais à toute conjecture. Nous venions d’avoir plusieurs jours de répit pour souffler, établir de nouvelles défenses, couvrir Paris. On se battrait donc durement. Je ne formais plus qu’un seul vœu : que le Juif me laissât du moins faire mon devoir de soldat.

V JUSQU’AU BOUT

CHAPITRE XXI -
LES TRINGLOTS DU C. OR. A2
    À la grande grille de l’École Militaire, la sentinelle, le lundi matin 3 juin, était un bossu digne de rendre jaloux Quasimodo. L’armée française savait toujours maintenir sans faiblesse son prestige.
    Le détachement de Poissy se groupait au petit bonheur dans une des cours intérieures. D’un coup d’œil, il était aisé d’augurer de sa mission.
    — Si l’on veut former un corps blindé avec ces camarades-là, nous ne sommes pas encore dans la bataille.
    Pour la moitié au moins, mes compagnons de départ étaient sanglés dans de gracieux uniformes de fantaisie, deuxièmes classes en vareuses d’officiers, culottes à la Saumur, bottes fauves. L’illustre 19 e  Train, l’asile de choix des jeunes gens bien apparentés et pourvus de relations flatteuses, faisait son entrée en campagne. Les plus délicates embusques du contrôle postal, des effectifs, de la circulation, avaient fourni leur contingent. On aurait vite compté ceux de ces charmants militaires qui, une fois dans leur vie, avaient tâté un mousqueton ou une mitrailleuse.
    Il restait d’ailleurs derrière eux, pour maintenir la tradition de l’unité, un nombre fort important d’autres jeunes hommes encore mieux apparentés, aux relations encore plus brillantes et qui venaient blaguer aimablement les partants.
    On reconnaissait, écartant d’un air altier comme de pâles figurants les corvées de soupe et de paille, maintes vedettes de la scène et de l’écran, aryennes ou non, diversement célèbres.
    Dans notre caravane, une petite troupe un peu isolée tranchait, vêtue d’un kaki d’ordonnance tout neuf, capotes d’infanterie, calots aux pointes raides. C’étaient des Français de Hollande et de Belgique, mobilisés jusque-là sur place dans nos légations et qui nous arrivaient au bout d’une série de bombardements, d’embarquements, de torpillages, de détours dont ils ne semblaient point encore sortis.
    On nous pourvut de la classique paire de souliers jaunes, d’une couverture et d’un treillis dont le pantalon, beaucoup plus propre à culotter un tonneau qu’un humain, nous permettrait d’organiser des épreuves de course en sac.
    Un peu après la soupe, vers une heure, la D. C. A. se mit à tirer assez vivement. Quelques instants plus tard, les sirènes retentissaient. Tous les hommes du quartier avaient l’ordre de descendre dans les caves. L’opération était longue. Je me plaçai dans les dernières files pour abréger d’autant l’emprisonnement souterrain qui, en quelque circonstance que ce fût, m’était odieux. Je pus rester près d’une demi-heure dans la cour. Le ciel très gai se tachait de quelques petits flocons blancs, fort espacés. Ces maigres salves ne devaient pas embarrasser beaucoup des avions. Quatre ou cinq chasseurs caracolaient. On entendait vers l’ouest

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