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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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brocanteurs, de carambouilleurs, de regrattiers chassieux, aux épaules fuyantes, aux jambes en manches de veste.
    * * *
    Le jeudi matin, j’écoutais la petite radio du maraîcher qui nous logeait. La voix du speaker avantageux barytonna tout à coup :
    « Poursuivant son énergique action contre les agissements de la cinquième colonne, M. Georges Mandel vient de faire procéder à l’arrestation de cinq personnalités parisiennes : MM. Robert Fabre-Luce, Serpeille de Gobineau, Alain Laubreaux, Pierre Mouton et Charles Lesca.
    Mon sang s’arrêta. Tout était couleur de cendres devant mes yeux. Le monstre avait osé cette abomination. Je n’éprouvais point de surprise. Depuis six jours, j’avais maintes fois rédigé dans ma tête ce fatal communiqué. Cependant, le délai qui s’écoulait sans que j’apprisse rien de nouveau, m’avait semblé assez rassurant. Depuis la veille, je m’étais flatté de la naïve espérance que l’énorme péril suspendu sur Paris et le pays effaçait cet odieux et absurde épisode. Mais le Juif, exécutant une des manœuvres classiques de sa race, profitait au contraire du danger et du trouble pour assouvir plus férocement encore sa vengeance.
    Il faut que l’on se représente la douleur d’un soldat, entièrement seul parmi des inconnus et des indifférents, entendant ces noms si familiers, chargés devant tout le pays de la plus infamante accusation, jetés en pâture à l’ignorance et à la colère d’un peuple en proie aux spectres de la trahison, voyant ces hommes faire épouvantablement les frais de l’infernale catastrophe que leur intelligence avait prévue, que leur courage avait tenté de détourner, au prix, ils le savaient, de leur liberté, de leur honneur, de leur vie même, traînés au cachot pour crime contre la patrie par les assassins mêmes de la patrie.
    Le menton bleu du poste dégoisait de nouveau l’affreux communiqué. Mandel faisait trompetter à tous les échos sa victoire. Nous n’avions jamais vu de notre vie ni les uns ni les autres les compagnons de geôle de mes amis. Serpeille de Gobineau, Robert Fabre-Luce. J’ignorais jusqu’à l’existence de Pierre Mouton. Ce salmigondis de noms disait assez l’arbitraire et l’insanité de l’inculpation. Elle n’en était pas moins écrasante : menées portant atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État. En temps de guerre, c’était la promesse du pire châtiment {18} .
    Mon accablement croissait. Mes plus sombres prévisions s’étaient confirmées. Toutes les souffrances de mes deux amis se déroulaient devant moi. Il me paraissait presque fatal que je fusse à mon tour arrêté avant peu d’heures. Un Mandel ne pouvait plus garder encore aucun scrupule devant mon malheureux uniforme. Lesca et Laubreaux étaient d’ailleurs déférés à la justice militaire. Et Gaxotte, le fondateur de notre journal, l’âme de notre petite troupe jusqu’à cette année ? De quel prix avait-il payés son impunité, le silence, si affreux pour nous, fait autour de son nom ? Déjeunait-il aujourd’hui encore chez le Juif ?
    Dans le vent résonnait le gong lointain du canon des lignes. Je songeais : Mandel était dans son horrible logique de Juif. Demain, il pouvait avoir perdu sa guerre sans recours, et le règlement des comptes ne serait plus loin pour lui. S’il restait quelques hommes en France pour le faire expier, c’était d’abord nous. Il prenait les devants. Les monstres de cette espèce, d’ailleurs, accomplissaient toujours leurs pires crimes quand leur débâcle sonnait. Les Allemands avaient commencé la dernière bataille. Il fallait résister sur place, mes sentiments les plus élémentaires me le criaient. Mais si notre front tenait, ne fût-ce qu’un mois, jamais je ne reverrais Laubreaux et Charles Lesca ; moi-même, tous mes amis et avec nous tous les nationaux les plus vaillants et les plus sages, nous serions voués à la prison, à la mort dans le déshonneur. Choix facile à un Juif, abominable pour nous. La patrie envahie se débattait pitoyablement, jouait son sort pour des siècles peut-être dans la plus inutile des batailles qu’elle eût jamais livrées. L’un des plus horribles dilemmes qui pût se poser à un homme déchirait l’âme d’un malheureux soldat. Telles étaient, du gigantesque à l’infime, les conséquences fatales d’un règne juif, de la démission d’un pays remettant ses pouvoirs, son honneur, son

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