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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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destin, son sol, la vie de ses fils entre les mains de l’ennemi [à la haine inassouvissable, du parasite venimeux, du métèque au sang indiciblement souillé] .
    Je sais depuis ces heures-là comment on peut haïr à mort.
    * * *
    Une torpédo de la Préfecture de Police venait de s’arrêter devant le bureau de la compagnie. Deux « hambourgeois », le feutre sur l’œil, s’y vautraient. Je passai près d’eux, les paumes brusquement moites. Venaient-ils pour me prendre ? Je ne pensais plus à la prison, mais à l’horreur d’être emmené entre ces brutes, devant tous les Juifs qui ne se posséderaient plus de joie, devant ces soldats chrétiens, mes humbles et gentils frères, que je me sentais déjà si près d’aimer.
    La voiture des flics repartit vers Paris. Je revenais à la vie. Mais mon angoisse ne me quittait pas. Elle s’assoupissait seulement. Par bonheur, je devais ignorer que Robert Brasillach, dans le même moment, était rappelé de la ligne Maginot pour subir un inique interrogatoire de trois jours.
    J’aspirais par-dessus tout, avec une impatience inouïe, à la fuite en avant : être du premier convoi, m’absorber dans une besogne anonyme et rude de soldat, brouiller ma trace dans les remous des armées en campagne. Mais je n’espérais déjà plus que le C. OR. A2 me permît cette évasion. Jetais prisonnier de son tourbillon dérisoire. Après le G. U. P., les pionniers, l’avenue de Tourville, ma carrière militaire se poursuivait dans une imperturbable insanité.
    * * *
    Le C. OR. A2 possédait dans la forêt, à quatre lieues de ronde, un parc énorme de véhicules, des files de camionnettes arrivées tout droit des grandes usines françaises, des centaines de camions américains battant neuf, entièrement équipés, acquis et amenés à prix d’or, des White, des Studebacker, des Dodge, le dernier cri de la mécanique lourde, des mastodontes capables d’enlever quarante hommes ou cinq tonnes de munitions à quatre-vingts kilomètres dans l’heure. Mais notre état-major, et au-dessus de lui toute la hiérarchie du train des équipages, était devant cet admirable matériel comme des Canaques devant une linotype.
    Pour notre compagnie en tout cas, on avait vite fait, aidé de quelques mots des anciens du « noyau », d’embrasser son activité. Nous avions vu notre capitaine dans l’exercice essentiel de ses fonctions, celles d’un de ces vains butors qui trouvent dans le galon l’accomplissement de leur nature, toutes les licences d’une obtuse tyrannie. Le lieutenant se nommait M. Guggenheim… La compagnie, de notoriété publique, était entièrement livrée aux inspirations d’un détraqué, le maréchal des logis Loewenstein.
    On découvrait en lui une variante inattendue de la faune militaire : le « fayot » juif. Le capitaine L. T… se composait tour à tour entre ses téléphones les personnages du limier infaillible, du diplomate d’ambre, du soldat d’airain. Loewenstein, lui, se jouait le rôle du dur à cuire, du rempilé boucané de la coloniale, du pète-sec des hussards, intrépide et inflexible. Comme Blum dispensant de l’hôtel Matignon la félicité et l’opulence au peuple, Loewenstein vivait l’épopée entre Poissy et Chambourcy, n’ayant au demeurant, depuis le début de la guerre, jamais aventuré une heure son héroïsme dans la zone des combats. Il avait fallu l’entendre, talons claquants, voix hachante, répondre à l’appel des noms de cinq pauvres diables, qu’une bombe du 2 juin venait de tuer à Chatou : « Mort champ d’nheur, mort champ d’nheur ». C’était le soir d’Austerlitz. Mais le sous-off se doublait du Juif[ youtre] ivre d’amener au sifflet le goye jusqu’à sa botte, de faire sonner trois fois l’heure cinq cents hommes au pas gymnastique, pour une corvée de quartier qui requérait une escouade.
    Les Juifs, les récupérés des embusques parisiennes, formaient peut-être le tiers de la 107 e   Compagnie. Pour les autres, beaucoup étaient des rescapés d’au moins vingt unités, compagnies routières, compagnies de transports, divisions légères mécaniques. Ils ramenaient tous de leur première expérience la conviction très [bien] établie que si le train avait représenté naguère l’arme des bons filons et des fils de famille, ces temps confortables étaient bien révolus. Ils venaient de subir le feu dans les conditions les plus sévères. Dans leurs convois, sur les

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