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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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fille, très brune, de seize ou dix-sept ans, restait debout obstinément près de la même porte, muette, grave, dévorant de ses yeux les cinq ou six poilus du village, brûlant de cette fièvre des catastrophes qui livre les adolescentes à une sombre et magnifique animalité. Au carrefour voisin, dans le même soir, un de nos camarades était en proie à une exhibitionniste éperdue de quinze ans. Mais nous étions, bien qu’en soupirant, des factionnaires scrupuleux.
    Deux ou trois individus à gueules de faux témoins, jacassant le yiddish, avaient arrêté sur une petite place leur voiture surchargée de ballots. Ils s’enfermèrent dans une boutique.
    La nuit venue, la pluie se mit à tomber. Le ronflement caractéristique d’un avion allemand retentit dans les ténèbres. Les convois de camions, presque au même instant, débouchaient, tous feux allumés, et stoppaient. Il fallut remonter la colonne au pas de course, sur plus d’un kilomètre, pour faire éteindre les phares. Les hommes juraient : « Plus moyen de conduire, alors ! il fait trop noir. » D’autres : « Il y a un avion ? Mais qu’est-ce qu’on fout à traîner ici ? On va se faire sucrer. »
    Le convoi démarra enfin, dans de grands entrechocs et toute la kyrielle des bordels de Dieu. D’autres camions suivaient. L’avion tournait toujours, très bas. Une rafale de coups de feu éclata soudain, à quelque cinq cents mètres de là, vers les bois. Un troupier surgit, essoufflé, me tombant dessus :
    — C’est une mitraillette allemande ! Ils viennent de nous canarder à cinquante pas. Ça doit être des parachutistes que ce sacré avion a laissé tomber.
    Rien ne me paraissait moins probable. Cependant, les sous-officiers talonnaient dans l’ombre leurs conducteurs : Allez ! allez ! foutons le camp d’ici.
    Tandis que les dernières voitures disparaissaient, un gardien du Louvre, qui avait accompagné les tableaux à Chambord, vint à Gontier et à moi.
    — Quelle honte ! dit-il. Vous êtes sentinelles ici toute la nuit, on vient de tirer et vous n’avez même pas une arme. Venez donc avec moi, il faut arranger ça.
    Je lui emboîtai le pas. L’épisode m’amusait. J’étais dans mon droit le plus strict et même davantage, si je songeais à l’alarme qu’eût répandue un capitaine L. T… en entendant les détonations. Les collègues de mon garde, fort avinés et excités, menaient une ronde mélodramatique autour du château. Les Fritz étaient assurément très loin encore. Mais nous pouvions bien avoir affaire à des filous, qui profitaient du désordre pour tenter un coup de main sur les trésors accumulés là. Mon guide, pour réparer l’intolérable scandale d’une armée républicaine sans fusils, m’emmenait tout droit chez le maire. Savoureuse bouffonnerie ! Que mon pauvre Laubreaux ne pouvait-il me voir. Le maire, blanc comme un papier, grelottant de frousse, bredouilla qu’il n’avait rien, que du reste il était malade et qu’il allait quitter Chambord dans la matinée.
    — Alors, Monsieur le Maire, rugissait mon garde, vous pouvez supporter ça : un soldat français qui n’a même pas un bâton pour se défendre ? Ça ne vous crève pas le cœur ? Moi, un ancien de Verdun…
    — On a bien un petit pistolet, finit par gémir la femme du brillant édile.
    C’était un minuscule 6/35, que, sitôt exhibé, on voulut nous cacher. Mon garde, pour conclure, l’arracha des mains de la commère. Nous allâmes en armer mon camarade Gontier. Pour moi ce fut enfin un garde-chasse qui me pourvut d’un gros flingue à chiens avec quatre cartouches de chevrotine. C’est ainsi que j’ai défendu Lola de Valence et Le Moulin de la Galette, belle mission pour un amateur de peinture !…
    Un peu avant l’aube, un camion vint relever les flécheurs et nous achevâmes la nuit dans un excellent grenier à foin. Je préfère de beaucoup le foin à la paille. Je suppose que c’est un goût commun à la plupart des chemineaux.
    * * *
    Nous avions tous la conviction que la Loire était notre position extrême de repli et que nous allions y attendre les armées qui se regrouperaient. Mais dès six heures du matin, notre convoi de nouveau s’ébranlait au plus vite et roulait en hâte vers le sud, à travers cette aimable Touraine, un peu plate pour un Dauphinois. Nous franchissions les limites du Loiret, du Loir-et-Cher, nous entrions dans l’Indre. Nous nous regardions les uns les autres,

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