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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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quantité de physionomies d’un judaïsme irréfutable. Israël, en train de perdre sa guerre contre un ennemi pour lui si redoutable, n’était certes point seul à déguerpir. Mais il en donnait avec ensemble le signal. On apercevait, mêlés aux Juifs de Passy, d’Auteuil, aux chiffonniers du Temple et de Montmartre filant dans leurs guimbardes avec leurs stocks de peaux de lapin, les diamantaires d’Anvers, les Juifs [verdâtres] d’Amsterdam, venus d’une première traite à Paris et lâchant maintenant cet asile menacé.
    À Orléans, que nous atteignîmes dans l’après-midi, régnait une stupeur complète, mais qui n’avait pu arrêter encore le train-train quotidien. Un char de combat, un, au bout d’une barrière faite de trois carrioles à bras, pointait son canon à l’entrée du pont. Une compagnie de bleus de la classe Quarante, en treillis, sans fusils, rentrait de l’exercice. Avec des riz-pain-sel et des ouvriers d’artillerie, c’était tout ce que l’on pût deviner des armées de la Loire en ces lieux. Dans tous les environs, on ne distinguait pas le moindre indice de travaux, le moindre fantôme de troupes. Les hameaux solognots, écartés des grands chemins, que nous traversions maintenant, entraient en révolution à notre aspect, croyaient à de grandes manœuvres.
    Nous stoppâmes enfin à la lisière d’une vaste forêt. Pas une maison aux alentours. Le C. OR. A2 cherchait pour ses voitures l’abri des arbres contre l’aviation. Une escouade, perdue dans une file interminable de véhicules, ignore absolument l’aspect et la longueur du convoi où elle roule. Nous découvrions soudain les colonnes des fameux camions américains, qui se regroupaient à la fin de l’étape. L’armée avait enfin trouvé l’utilisation des magnifiques monstres. Avec leurs quatre et cinq tonnes de charge utile, ils portaient les balais de joncs et les fagots de brindilles des cuisines, les tuyaux de poêle rouillés et les petits bancs des bureaux.
    La nouvelle nous tombait à l’instant, on ne savait comment, de l’entrée en guerre de l’Italie. Le scénario se déroulait imperturbablement. Il ne manquerait pas un épisode. Nous avions bien touché le fond de la pente. L’événement prévu l’annonçait. On apprenait aussi que Reynaud venait de prononcer un discours : le gouvernement évacuait Paris, le président du Conseil « partait aux armées ». Il stigmatisait le coup de poignard fasciste dans le dos de la France, dernier alibi pour s’innocenter de la défaite.
    Comme si la France offrît quoi que ce fût d’autre qu’un dos fustigé à ses ennemis !
    Il avait plu, les lourds bandages s’enfonçaient dans la glaise des sentiers. On nous distribua quelques biscuits moisis qu’un sous-officier avait dû sauver par hasard. Les ombres du crépuscule s’épaississaient, pleines de désolation, sur les bois déserts. Le ventre vide, le cœur amer, nous nous apprêtâmes pour une longue et morose nuit dans l’entassement des camions.
    * * *
    Le pays le plus proche se nommait Jouy-le-Potier, où nous rôdâmes toute la journée du lendemain. La guerre était de nouveau fort lointaine. La prise de Paris, les combats sur la Loire apparaissaient aussi mythiques que le péril jaune au charron battant placidement son fer, à l’institutrice mouchant ses gosses et épelant l’alphabet.
    Nous repartions, pour une courte étape, disait-on. Je faisais partie cette fois de l’équipe de flécheurs, qui s’en vont les premiers et sont déposés aux carrefours pour aiguiller les convois. J’avais la charge du poste de Chambord, en compagnie d’un excellent camarade, du nom de Gontier, ancien drapier à Prague. Il nous fallait toujours nous ravitailler par nos propres moyens. Quelques cavaliers motocyclistes, qui s’étaient battus en Belgique, faisaient halte avec nous. Au pied du château illustre, rempli des tableaux français que l’on avait déménagés du Louvre, Chambord était tout entier sur les trottoirs, contemplant la caravane inépuisable des autos parisiennes, plus fasciné qu’effrayé par ce remue-ménage. Une charmante vieille de quatre-vingt-douze ans, en bonnet blanc, était la plus assidue au spectacle :
    — J’ai manqué les Prussiens en 70, disait-elle. Je vas donc les attendre cette fois, puisqu’on dit qu’ils viennent. À mon âge, ils ne me font point peur.
    Elle voulait à toutes forces nous donner sa petite provision de pain.
    Une délicieuse

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