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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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ils vont leur foutre, aux Fritz. Veux-tu que je te dise ? Eh bien ! pour la vraie lutte des classes, pour l’ouvrier, quoi ! la déculottée qu’on vient de prendre, c’est du bon.
    J’étais révolté par cette foi animale. Mais la suite devait démontrer que les espérances de ces brutes tenaient beaucoup mieux debout que la féerie yankee et capitaliste de la bourgeoisie diserte.
    Dans la soirée, nous arrivâmes aux abords de Fougeré, près de La Roche-sur-Yon, un petit village vendéen qui sentait déjà la mer. Nous étions encore confinés dans les bois. Mais il faisait sec. Nous pûmes échapper à la [l’éreintante et] fétide promiscuité des camions, et dresser la tente dans les clairières. À la vérité, je ne suis pas campeur et « tenteur » Pour un liard. Vive la marche à pied et la bicyclette, mais en cantonnant. C’est le principe napoléonien… Transporter à dos des marabouts et des casseroles, quand le foin des granges est si bon, si succulente l’auberge, ce sont des amusettes de petites filles.
    * * *
    Fougeré n’était encore pour nous qu’une halte. Le dimanche matin, 16 juin, un petit bond d’une trentaine de kilomètres nous portait jusqu’à Mareuil-sur-le-Lay. Cette fois, nous établissions solidement nos pénates. Le gros de ma compagnie s’installait dans les communs du château de Salidieu, une grosse gentilhommière couverte de lierre, toujours au milieu des bois. Mais le bourg était rapidement accessible, charmant avec son vieux pont, sa rue animée de jupes claires. Avec la sûreté du sourcier, nous avions découvert dès le premier bistrot un petit pichet rose du pays, absolument délectable. La patronne acceptait de fricasser pour les poilus. Chez ceux du moins à qui restaient quelques sous, on voyait les mines s’épanouir. Le 16 juin 1940, quand nous venions d’apprendre l’entrée des Allemands à Paris… Je n’y peux rien. Je me contente d’être un chroniqueur aussi fidèle que possible [qu’il se peut]. Nous en étions à notre septième jour de biscuit moisi.
    Une charmante fille de dix-huit ou dix-neuf ans, dans une fraîche robe d’été, ses cheveux dorés en auréole, voltigeait autour de l’équipe du T   bis.
    —  Vous êtes tous des Parisiens ? Moi je suis du Vésinet. Mon Dieu ! mon Dieu ! dire que les Allemands sont chez nous.
    Mais pendant qu’elle parlait, l’étincelle de l’Éros des désastres dansait dans les yeux vifs de cette gentille petite bourgeoise.
    Le parc du château de Salidieu possédait un grand étang, dont les bords s’étaient aussitôt peuplés de pêcheurs en kaki taquinant les anguilles avec enthousiasme. À plat ventre dans l’herbe, à quelques pas de moi, un brigadier à lunettes de sacristain discutait gravement, à mi-voix, avec un maréchal des logis. Le brigadier était un jeune et pieux gentilhomme périgourdin, le margis un séminariste.
    — La prophétie de Nostradamus est formelle, disait le brigadier. La grande bataille qui écrasera le Barbare et délivrera la France aura lieu aux environs de Poitiers. Nous voilà tout près de Poitiers. Les Allemands ne doivent plus en être bien loin. C’est bon signe.
    — Mais oui, disait le clerc, je suis comme vous. J’ai de l’espoir.
    Les deux croyants me jetèrent un oblique regard. Comme je devais sentir fort le fagot, ils continuèrent dans le creux de l’oreille.
    J’avais loué le matin pour dix francs un vieux vélo. Je redescendis en quelques tours de roue au bourg. La grosse marée de l’exode venait de l’atteindre, ébranlant les paisibles maisons, frôlant les trottoirs de ses milliers de roues. Toujours et encore des officiers et des femmes, des limousines à matelas, des Juifs. On voyait apparaître les premiers camions de la Royal Air Force. Un de leurs sergents, en panne de pneumatique, hochait la tête :
    — Chose dégoûtante. Nous réembarquons. Je ne sais pas si c’est à La Rochelle ou à Bordeaux. Nous vous abandonnons. Hélas ! c’est l’ordre.
    Une petite Fiat s’arrêta presque en face de notre café. Il en descendit une jeune femme qui disparut et un soldat français qui vint à nous. C’était un grand gaillard de caporal, jeune, vigoureux, la physionomie ouverte et extraordinairement animée. Il portait les écussons du 150 e  d’infanterie, mon ancien régiment du service actif.
    — Bigre ! fis-je. Le 150 e  ! C’était la 12 e  division, hein ? Il ne doit pas en rester lourd.
    — Tu

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