Les Décombres
cents mâles baillant , je poussai le couplet des Joyeux qui n’avait jamais eu plus d’éloquence :
Quand vient l’moment d’servir c’te nom d’Dieu d’République
Où tout l’monde est soldat sans son consentement…
Il se fit aussitôt un silence effrayé autour de ce sacrilège.
* * *
On ne se guérit jamais de certaines manies. En dépit de mes belles résolutions qui avaient tout juste un mois, je griffonnais aux premiers jours de juillet un misérable carnet de blanchisseuse :.
« Ce qui frappe le plus, depuis trois ou quatre jours, c’est l’impuissance d’un gouvernement ni plus ni moins ridicule que ceux qui l’ont précédé. La réforme de la Constitution, si falote qu’elle s’annonce, inquiète les vieux maçons et radicaux. La République auvergnate de ces semaines met encore en relief le caractère provincial, prudhommesque, du régime. » Tous les comitards locaux des pays d’Oc redevenaient de petits princes.
Il n’était pas besoin d’une grande expérience politique pour subodorer l’incertitude et la faiblesse du nouveau pouvoir dans ce ministère, le second déjà en quinze jours, où le sinistre Camille Chautemps représentait, en pendant de Pierre Laval, l’œil de la maçonnerie toujours vigilante, où l’on reconnaissait encore le demi-Juif Frossard, le postier blumiste Février, un Chichery, un Pomaret, un Ybarnegaray ; bien plus scandaleux encore, l’abrutisseur en chef du peuple français, Jean Prouvost, demeurant comme sous Reynaud le maître de notre propagande, et le général soviétomane Doumenc pourvu d’un invraisemblable portefeuille de la « Reconstruction générale ».
Le sieur Alexandre Varenne, l’une des plus illustres barbes de la République, avait encore licence d’écrire pour préconiser des changements prudents, afin de ne pas ajouter au trouble des esprits.
Mais, comme beaucoup de ceux qui passent auprès des mollusques pour des maniaques du dénigrement, j’ai une faculté presque inépuisable d’espérance. Le 25 juin n’était plus le 6 février. Je voulais absolument croire que nous assistions aux suprêmes tentatives des vieux manœuvriers. Il allait bien falloir que nous vissions du neuf.
L’attentat de Mers-el-Kebir sur notre flotte offrait aussitôt un exemple des imprévus inouïs qui nous attendaient.
Le peuple et les soldats s’occupaient beaucoup plus d’un raid de la Royal Air Force qui venait de faire, tout le monde avait entendu la dépêche de ses propres oreilles, trente-cinq mille morts, pas un de moins, à Berlin. Mais les journaux annonçaient la réforme immédiate de la Constitution. Le Parlement était réuni en Assemblée Nationale. Laval avait magnifiquement décidé de réduire la procédure au minimum. Le 10 juillet, dans les formes les plus brèves, le Sénat et la Chambre contresignaient la fin de la République élective. Pétain devenait le chef d’un État autoritaire, avec Laval comme successeur désigné. L’opération rêvée et réclamée depuis tant d’années avait duré cinq heures.
Cette fois, il était permis de jubiler ouvertement. La défaite « payait » mieux que la victoire ! Elle jetait bas l’ignoble parlementarisme. Un triomphe militaire ne nous eût jamais donné ce bonheur.
Je savourais la joie de voir autour de moi les têtes décomposées des Juifs, leurs crochets pour fuir les radios, leurs gestes convulsifs pour écarter les journaux où l’on célébrait la fin de la démocratie, où le vieux chef annonçait en termes simples et directs la restauration du pays. Les Juifs se couvraient de cendre. La France pouvait donc commencer à respirer et à écarter pour un premier sourire ses voiles de deuil.
Un télégramme m’avait apporté d’excellentes nouvelles des miens. Je ne tenais plus en place. Je considérais avec une pitié assez méprisante les rempilés de tous grades qui rôdaient à travers Siorac. Pour eux, nous n’en doutions pas une seconde, il ne restait plus qu’à trouver un nouveau métier. C’en était fini de la confortable armée française. Le C. OR. A2 ne se résignait pas aisément au hara-kiri. Il manifestait même tout à coup un regain désopilant d’activité. Sitôt l’armistice signé, nous avions vu ressortir son glorieux état-major, disparu depuis Poissy. Le commandant Moinaux, notre chef suprême, nous avait même adressé un ordre du jour, en nous félicitant d’avoir accompli sans défaillance notre mission.
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