Les Décombres
les mêmes postes où l’on avait si bien écouté Ferdonnet durant tout l’hiver.
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Avec quelques vieux amis, anciens camelots du roi, anciens P. P. F., fidèles de Je Suis Partout, je fumais mes pipes sur ma terrasse. Il faisait beau, je me refusais à verser dans des pensées sombres.
Nous étions pis que battus. Nous avions reçu une correction, une déculottée phénoménale. J’en avais assez vu et assez entendu pour pouvoir considérer dans toutes ses dimensions cet événement. Cette foirade générale de cinq semaines, de Breda jusqu’à la Gironde, était celle d’un régime s’écroulant tout entier, et dont la victoire, depuis une année, n’avait cessé de m’être inconcevable. Le pays n’en subsistait pas moins, affreusement bouleversé et blessé, mais vivant. Un adversaire intelligent, ouvert à des idées grandioses, semblait bien l’avoir compris. La France historique méritait cette chance.
Le cauchemar accablant de juin s’estompait. L’avenir pouvait nous être ouvert, un avenir de paix, de logique, d’équité sociale, de désenjuivement. Il me paraissait autrement séduisant et réalisable que les chimères, les mots vides, ou les gages, fort concrets ceux-là, donnés aux Hébreux pour leur triomphe universel, que Daladier et Reynaud nous offraient en guise d’enivrements guerriers.
La première condition était pour nous de liquider absolument notre passé, qu’il ne subsistât rien de commun entre la France juive et démocratique, encanaillée, décervelée, burlesque dans sa vantardise, piteuse dans la panique, et la France punie mais purifiée de l’armistice. Rien n’était plus facile. Nous n’avions vraiment pas besoin de nous forger ni de nous inventer des boucs émissaires. La seule difficulté serait de décider où l’on arrêterait, vers le bas, la liste des coupables, quels sous-ordres on admettrait au bénéfice d’une indulgence provisoire. Pour les institutions vermoulues du régime, à qui nous n’avions même pas été fichus de donner le coup de grâce, les Panzerdivisionen avaient tout jeté par terre. Il ne nous restait plus qu’à pousser les morceaux à la charognerie.
Il nous faudrait ensuite montrer ce que nous pouvions faire par nous-mêmes dans les tâches positives. Ce serait autrement compliqué. La grande révolution nationale-socialiste du XX e siècle nous avait atteints. J’aurais passionnément voulu que nous la fissions nous-mêmes. Nous avions eu besoin de l’étranger pour lui donner le branle. Nous aurions à prouver maintenant que nous étions capables de la conduire nous-mêmes et de la marquer d’un sceau français. J’y voyais assez mal préparés nos nouveaux officiels. Il semblait difficile qu’ils fussent, pour la plupart, autre chose que des intérimaires. Nous avions certainement plus d’une étape à franchir. On eût bien pu nous épargner d’inutiles transitions.
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Je guettais avidement les premiers signes de ce nouvel ordre que la France essayait d’enfanter.
J’appréciais peu que le clergé s’emparât de notre malheur pour se pousser au premier rang. Leurs voix engluaient à chaque instant la radio. Je détestais ces abbés feutrés qui venaient « nous mettre en garde contre l’amertume et la colère », se multipliaient pour freiner le salutaire sursaut qu’on devinait dans la meilleure partie de notre peuple. Je n’aimais pas davantage ces appels à la résignation, à l’heure où il fallait reprendre vigoureusement les outils.
Le sieur Boegner, le grand pasteur des protestants de France, célébrait « la divine panoplie des armes de Dieu ». Sans doute, sans doute… Mais c’était déjà au nom de ces armes que ce monsieur, lorsqu’il faisait dans le pacifisme à la Briand, écartait les chars et les mitrailleuses qui venaient de nous manquer. Quand allait-on plutôt nous parler d’un bon négociateur ?
M. François Veuillot proclamait orgueilleusement que la France s’était malgré tout battue pour la civilisation chrétienne contre le paganisme : propos vraiment diplomatique à l’égard d’un vainqueur qui venait de multiplier les preuves de son humanité, et de compliquer souvent sa manœuvre pour épargner les églises ; heureuse façon de s’entendre le lendemain rappeler par lui à un peu plus de respect des vérités premières.
J’aurais bien préféré que les prélats et les dévots nous parlassent un peu d’eux, qu’ils eussent quelques
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