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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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élémentaire sagesse était d’attendre sur cette ligne, si imparfaite fût-elle, l’assaut de l’ennemi. On lança à l’aventure le meilleur de l’armée. La majeure partie de l’infanterie ainsi expédiée à travers les plaines belges était motorisée. Mais sans même l’avoir portée jusqu’au combat, ses automobiles la lâchèrent en route, et elle ne devait plus jamais les revoir. L’infanterie française, destinée par ses généraux à recommencer la guerre de 1915, était abandonnée au milieu de la guerre de 1940 dans les conditions de la guerre de 1792.
    Deux jours plus tard, les chefs ignoraient toujours où et en quel nombre se trouvait l’ennemi devant eux, et ils ne savaient déjà plus quelles troupes leur appartenaient encore et les lieux où elles se battaient.
    On n’avait fait diligence que pour expédier l’armée au-devant de sa perte. Quand seule une retraite hâtive pouvait encore la sauver, les ordres qu’on lui expédia ne servirent qu’à la clouer sur place.
    Fixés eux-mêmes au sol, tous les dépôts de matériel, de munitions et d’hommes étalent inutilisables au septième jour d’une guerre menée à la pleine vitesse des moteurs.
    Au bout de cette semaine, la guerre était perdue. La France n’a même pas été battue en quarante ou quarante-cinq jours, mais en une seule semaine. L’état-major allégua pour sa défense qu’il ne l’ignorait point et qu’il l’avait dit. C’est un dérisoire plaidoyer. Weygand savait et il en rendit compte par la voie hiérarchique. Reynaud et Mandel ne voulurent point l’entendre. L’unique devoir de Weygand était de faire arrêter sur l’heure ces stupides bandits par un peloton de motocyclistes. Il s’en garda bien. Cette pensée ne dut même pas le toucher. Il était « couvert » réglementairement. Cela suffisait à sa conscience de Français. Ce personnage étriqué ne comprenait pas qu’il y a des heures où le devoir n’est pas inscrit dans les règlements. Le 3 juin 1940, à la veille d’une bataille perdue d’avance, qu’il allait livrer à un fantassin contre quatre, à un char contre dix, à un avion contre cent, ce général académicien assurait Paul Reynaud de « sa haute considération et de ses sentiments déférents et dévoués », comme la note « très secrète » n o  582 du Cabinet de la Défense Nationale en fait foi.
    On a encore voulu, pour ces jours-là, lui décerner la couronne de héros : Weygand héros des dernières cartouches. C’est une plaisanterie. Quel héroïsme y a-t-il à envoyer se faire tuer idiotement de pauvres bougres, du fond d’un château bien camouflé, ou d’une limousine qui vous emporte très loin du danger ? La seule forme de courage que pouvait déployer Weygand, c’était de mettre hors d’état de nuire à la France, par la plus simple des opérations policières, la petite bande des gredins légaux. Réservons les épithètes héroïques pour les malheureuses escouades qui attendirent à leur poste, avec des baïonnettes et leur dernière balle, l’assaut des blindés allemands. Weygand, dans ses automobiles, n’a emporté avec lui que sa pleutrerie.
    Ayant accepté par bassesse d’âme ce suprême combat pour ses pauvres troupiers, Weygand ne sut même pas lui conserver une forme honorable. Pour y parvenir il n’avait pas le choix. L’unique ressource qui lui restât était celle des îlots, où se rassembleraient le plus solidement possible les débris de ses armées. Il l’écarta. Il égrena ses pauvres divisions au long d’une ligne démesurée et filiforme, un front qu’une armée dix fois supérieure en nombre aurait à peine pu tenir avec quelques chances. Pour que les principes fussent saufs, chaque grain, bel exemple de jésuitisme militaire, était décoré toutefois du nom de point d’appui. Nos derniers chars qui, massés, auraient encore pu asséner quelques coups sérieux à l’adversaire, étaient disséminés de dix kilomètres en dix kilomètres : un engin solitaire, aussi efficace qu’une brouette, à la tête d’un pont, à l’entrée d’un hameau.
    Une demi-journée après le début de l’attaque, le tout avait cessé d’exister.
    Il restait encore, pour illustrer les épisodes d’une suprême résistance, les régiments de la ligne Maginot, comptant parmi nos plus solides unités. Enfermés dans leur béton qu’ils connaissaient à merveille, bien pourvus en vivres, en projectiles, en armes, ils

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