Les Décombres
se jouait véritablement. Toujours est-il que dans l’armée active, ces volontaires-là ne se sont point rencontrés. Les grands chefs les eussent désavoués. Ces messieurs ont pris toutes leurs précautions pour qu’aucun geste « indigne » ne se commît, pour qu’il n’y eût pas un seul flingot distrait de la tâche essentielle : guetter là défaillance du Fritz, et lui sauter sur le dos. Nous possédons toujours une armée. Elle fait en tout cas assez parler d’elle pour que nous n’en puissions douter ! Cette armée comprend encore les meilleurs coloniaux du monde. Les occasions, depuis deux ans, ne lui ont pas manqué de se manifester, contre les agresseurs les plus qualifiés. Mais nous posséderions à sa place des Suisses de la garde pontificale que nous serions sans doute mieux servis. S’il y avait des militaires et non point des savates stupides à la tête de l’armée française, la Syrie n’eût pas été perdue en vingt jours d’un vague baroud qui ressemble aux pistolets de M. Laure, dont il sera question plus loin. (Cette affaire de Syrie, présentée comme « réconfortante », comme « une nouvelle page de gloire inscrite à notre épopée militaire », fut en réalité une rechute se produisant après douze mois d’une fausse amélioration, le signe que le mal était toujours là, mais qu’on le niait, qu’on affectait des airs gaillards, bref qu’il s’aggravait).
Si nous avions des chefs militaires, Paris pourrait être protégé par des artilleurs et des aviateurs français. Au lendemain de Boulogne-Billancourt, à la place de piteuses jérémiades, Vichy aurait pu envoyer à notre capitale des batteries et des escadrilles. Nous aurions pu surtout riposter aux coups anglais, saisir nos gages en place des territoires trop lointains pour être défendus, nous emparer de la Sierra Leone, de la Côte de l’Or, de la Nigeria. Cela, ce serait vraiment la politique du prestige français, du drapeau français relevé. Mais la respectabilité des généraux rossés de la Meuse, de l’Oise, de la Dordogne ne le permet pas. Ils ont mis l’armée moralement et matériellement hors d’état d’accomplir ces expéditions vengeresses et profitables. Je ne puis y songer sans que la colère ne m’enfonce les ongles dans la paume des mains. C’est moi, le noircisseur de papier, le deuxième classe qui suis le militaire. C’est moi, que ces messieurs souhaiteraient sans doute faire fusiller comme traître, qui suis le patriote.
L’armée, depuis vingt mois, n’a su fournir des volontaires que pour l’anti-France du judéo-gaullisme. Un sentiment patriotique, même horriblement dévoyé, force notre respect. N’oublions pas que les gaullistes combattants , s’ils comptent de basses canailles et des mercenaires, comptent aussi des braves qui n’écoutent que leur sang. On me permettra de préférer ces fous aux ramollis des garnisons auvergnates.
Maints gradés, trop pusillanimes pour rejoindre de Gaulle, se conduisent, pensent et sentent depuis 1940 comme des grosses caisses. Il leur sera toujours loisible d’alléguer qu’ils croyaient obéir à leur patriotisme. Mais un tel patriotisme, lui aussi, passe à l’état de consigne réglementaire. Il existe encore, soit : mais ce n’est plus qu’une stérile pétrification.
Il ne faut pas non plus qu’on nous en fasse trop accroire avec cette armée, qui n’abdique pas, qui redresse la tête et qui veut s’imposer pour défendre la citadelle de nos plus pures traditions. Derrière ces prosopopées, que de mesquins calculs, de filons, de sinécures bien conservées derrière la guérite de l’Honneur ! Quelle dégoûtante ressemblance avec la ruée aux fromages, telle qu’elle se pratiquait dans la démocratie, chaque fois que le vent parlementaire tournait !
On doit apprendre, si on ne le sait déjà, que des centaines de médecins civils se morfondent depuis deux ans à faire du service chez nos prisonniers d’Allemagne, et qu’ils seraient libérés en une heure, si les médecins militaires, dont c’est l’unique fonction, venaient les remplacer. Mais ces soldats se dérobent à cet impérieux devoir. Dans une armée où de telles indignités sont possibles, la santé morale est vraiment au plus bas.
Les nationalistes français ont vécu depuis soixante-dix ans sur des images militaires singulièrement naïves. En réalité, l’art militaire est sans doute chez nous, depuis cette période, celui qui
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