Les Décombres
leurs privilèges les meilleurs d’entre les siens. C’est ce que l’on a nommé d’un vocable digne du phénomène « l’attentisme ». Depuis juin 1940, une politique, si l’on ose dire, d’expectative, ne pouvait attendre que la victoire anglo-saxonne. Ou plus exactement, quatre-vingt-dix-neuf et demi pour cent de ses espoirs et des machinations qu’ils entraînent ont été fondés sur l’attente de cette victoire, tandis qu’on attribuait un demi pour cent de probabilités à la crainte d’une victoire allemande. Élégant calcul. Mais pour être juste, il demandait tout simplement à être renversé.
Vichy, pour répondre à notre impatience, a allégué la mauvaise foi des Allemands, l’impossibilité de traiter avec ces menteurs. De telles raisons pourraient être assez troublantes pour des nationalistes français qui furent habitués par leurs chefs, durant des années, à frapper de suspicion tout ce qui venait d’Allemagne. Mais quelque répugnance qu’un Français ait à le faire, il lui faut bien s’avouer que pendant des mois la franchise a été du côté de Hitler, la fourbe, la malveillance du côté de Vichy. J’étais dans la fameuse nuit du 13 décembre 1940 à l’ambassade d’Allemagne, puis sous le dôme des Invalides, avec cent autres journalistes et hommes politiques de Paris, mêlés aux représentants du Reich. La consternation ou le dépit bouleversaient les visages de ces Allemands. Ils attendaient Pétain, Laval, le gouvernement français réinstallé dans sa capitale avec toutes ses prérogatives légitimes. Ils avaient organisé pour ce retour la restitution des cendres de l’Aiglon, la cérémonie sentimentale, historique et militaire, la plus propre, pensaient-ils, à émouvoir des Français comme elle eût ému des Allemands. La veille, à Vichy, on réglait le menu du dîner que Pétain offrirait à l’ambassadeur d’Allemagne. À la dernière heure, la conspiration des ministres bellicistes, de l’ Action Française, de la cagoule « anglaise » et des Juifs avait tout renversé. Les diplomates allemands étaient indécemment trompés, et demeuraient, avec leur solennité et leur cercueil napoléonien sur les bras.
On est obligé de dire que dans ces circonstances et dans celles qui ont suivi, les hommes du Reich ont montré sagesse et longanimité. C’est la preuve, sans doute, que la fameuse résistance larvée de Vichy ne leur a causé que d’assez médiocres dommages – ce que l’on croit sans peine – mais aussi qu’ils tiennent à leur idée, qu’elle fait partie d’un de ces vastes plans dont on sait avec quelle ténacité l’Allemagne en poursuit l’accomplissement.
Ce sont des ruses pour vieille punaise de sacristie acharnée contre le nouveau curé de sa paroisse, que de geindre sur les déboires d’une négociation quand on en sape les préliminaires quand on met tout en œuvre pour qu’elle ne puisse aboutir. L’interminable épilogue de notre défaite s’achèverait demain par un coup de théâtre désastreux pour la France, nous devrions malheureusement nous dire que c’est d’abord notre faute. On ne peut davantage faire fonds sur les prétendues félonies qui interdirent avant guerre toute entente avec l’Allemagne hitlérienne, quand on voit que les mêmes menteurs ou leurs maîtres conduisaient notre politique avec Berlin. Les rapports de la France et de l’Allemagne forment une longue suite d’épisodes sanglants parce qu’une bande, toujours la même, s’immisce entre les deux pays. Quand on voit de près les imbéciles ou les gredins qui composent cette bande, on peut trépigner de colère.
Vichy a dû encore se munir d’une façade devant le peuple français. Ses origines l’obligeaient à chercher l’appui des nationaux, c’est-à-dire des Français les plus irrités par la défaite, ayant les plus énergiques revendications à faire valoir, et les mieux disposés à soutenir le gouvernement qui les entendrait. Les Vichyssois leur accordèrent donc quelques satisfactions morales. C’est l’unique sens qu’il faille attribuer à toute cette série de châteaux de cartes et de cerceaux de papier, décorés du nom de statuts ou de décrets, et qui ont entretenu quelque temps l’illusion.
Comme l’on s’adressait à de braves gens de droite, on a gagné leurs faveurs par quelques textes antijuifs et antimaçonniques. Mais ces hochets n’ont pas été moins fallacieux que les promesses
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