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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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d’une fainéantise incomparable à l’ordinaire, s’était levé à six heures du matin pour corriger et caviarder le tout. Gaxotte arrivant à la rescousse, après une orageuse explication, était parvenu à lui faire rétablir l’essentiel. Mon ami Georges Blond, secrétaire de rédaction de la maison, veillait jalousement à l’imprimerie sur ces précieuses proses. Il déjeunait d’un sandwich sur le « marbre », ne lâchant pas d’un pied sa faction. Je devais apprendre le lendemain qu’à dix heures du soir, Jean Fayard était revenu dans l’imprimerie où il ne restait plus qu’un ou deux ouvriers, avait tout saccagé et coupé et fait partir à travers la France un journal à la Déroulède, plein de trompettes et de « sursum corda ».
    Les grandes feuilles commerciales, d’heure en heure, affichaient des titres plus sombres et plus dramatiques. L’imminence du danger, cependant, semblait susciter ici et là des réactions inopinées. Nous nous sentions moins seuls. Mais comme il était tard pour nous rejoindre !
    Je fatiguais mon angoisse dans des courses véhémentes. J’étais le messager entre vingt groupes d’amis ou de confrères. Je surgissais dans la même heure à Montmartre et à Montrouge. J’exhortais un chancelant ou un découragé. Je vitupérais à en perdre le souffle le panurgisme tricolore des bourgeois.
    Dans notre volonté de nous raccrocher à tous les expédients, nous en arrivions même à dire que puisqu’il y avait pacte, après tout, la S. D. N. garantissait ce pacte, que puisque nous nous préparions à une guerre du droit, le canon devait lui aussi satisfaire à la procédure, et ne point se permettre de tonner avant que l’on eût solennellement et rituellement défini l’agresseur. Pour un fameux délai, c’eût été un fameux délai. Mais nous savions trop bien que les plus tenaces apôtres de Genève avaient perdu la foi, et que pour nous, nous nous serions simplement ridiculisés en prétendant ressusciter la maison du lac Léman.
    Depuis une semaine, les plus mauvaises nouvelles arrivaient avec la nuit. Le mardi soir, ce fut le dernier discours de Chamberlain. Il était à peine prononcé qu’on en colportait à travers Paris des échos sinistres. Texte en main, les hommes de la paix y trouvaient encore des arguments. Mais il n’était pas besoin de l’avoir entendu à la radio pour comprendre qu’il rendait un son découragé. Un vieil homme à bout de forces et de diplomatie y disait sa lassitude et sa tristesse, bien proche du désespoir. Au tournant décisif de la crise, Chamberlain se résignait à la guerre, s’avouait pour le moins incapable de rien opposer au jurisme et aux invectives de ses frénétiques avocats.
    La paix mourait, et l’on ne tentait toujours rien pour rassembler tous ceux qui, comme moi, se mordaient les lèvres en refoulant des larmes d’impatience, pour que nous pussions jeter dans la balance faussée par les comploteurs bellicistes le poids de notre patriotisme et de notre indignation.
    Les dépêches tombaient toujours plus consternantes. Il ne restait à attendre que l’annonce de la mobilisation générale. Il était une heure passée quand un coup de téléphone m’apprit que Flandin, avec une centaine de députés, venait sans doute de prendre une assez grosse décision. Je saurais des détails au Journal. J’y bondis. Une dizaine de journalistes palabraient avec une extrême animation sur le trottoir. Il me fallut un quart d’heure pour leur arracher par bribes la démarche auprès de Daladier, de Flandin et de la minorité parlementaire, dont chacun voulait naturellement garder l’exclusivité. Ils étaient du reste à ce point ivres de leurs ragots qu’ils ne voyaient même plus l’importance de cette nouvelle.
    Je courus rapporter à Maurras les quelques notes que j’avais griffonnées sous un réverbère camouflé. C’était enfin le premier symptôme d’une résistance officielle. Je me sentais écœuré par mes deux journées de vagabondages, [d’humeurs femelles,] de vains remâchages, d’imaginations navigantes. Nous avions tous notre tâche à remplir. La mienne était simple : fussé-je seul, je ferais Je Suis Partout.
    * * *
    Un peu plus tard, vers sept heures et demie du matin, je sortais de chez moi, redoutant d’apprendre à l’autre bout de la place que la mobilisation générale avait été décrétée pendant mon court sommeil. Tout était calme. Quelques instants après,

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