Les Décombres
Phil, un pur fasciste, était depuis l’avant-veille margis de D. C. A. Comment le remplacer ? Rien ne nous parut plus digne qu’un beau carré blanc, avec cette inscription : « Ici devait paraître le dessin de Phil mobilisé ».
* * *
L’annonce de la mobilisation anglaise nous arrivait sur cette trouvaille. Mais nous n’avions plus le temps de nous désespérer. J’exhortais nos ouvriers, criant pour la dixième fois depuis le matin : « Tant que le canon n’aura pas pété, je ne croirai pas à cette guerre. » Nous sentions autour de nous la rue qui commençait à remuer. Nous dressions nos pages comme les pavés d’une barricade, dans un enthousiasme et une chaleur d’émeute.
À midi, voici la seconde note de Roosevelt. Bon : un pipi de clergyman sur un incendie. Quel intolérable battage des journaux autour de cette inanité ! Et ces titres : « Suprême démarche ! Dernière chance ! Ultime espoir ! » Comme si la France n’était pas la maîtresse absolue de son sort !
Ne surgira-t-il donc pas enfin un personnage réel, faisant quelque geste positif, pour nous tirer de cet extravagant cauchemar ?
Vers deux heures, on nous apporte au pas de course le message des députés de la minorité, « mettant en garde la population contre la campagne systématique de fausses nouvelles », en même temps que l’affiche catégorique de Flandin : « Je ne vois plus à cette heure qu’un seul moyen légal de maintenir la paix : que tous ceux qui veulent la sauver adressent au Chef de l’État leur pétition contre la guerre. »
Quelques instants plus tard, un nouveau messager : « Daladier fait lacérer les affiches de Flandin par la police ». La Liberté de Doriot qui l’avait reproduite, vient d’être saisie. Défense de vouloir la paix. Canailles ! Monstrueux salauds ! L’affiche de Flandin est déjà dans nos colonnes. Tant pis, ce sera encore un blanc, un moyen comme un autre de faire savoir quel bâillon on nous met : « Ici devait paraître l’appel de M. Flandin interdit par la police française ». La fièvre de la colère et du travail continue à monter. Hachant de crayon bleu les épreuves fraîches, je hausse encore tout de plusieurs octaves. Notre cher Cousteau surgit, soldat depuis dix minutes, brandissant quinze lignes d’injures, son « pour prendre congé » aux [porcs] juifs et autres. Arrive que plante. Nous aurons dit du moins ce que nous pensions, nom de Dieu !
Un peu avant quatre heures, le téléphone m’appelle. La voix de Georges Blond. Médiation de Mussolini. Elle est acceptée. Conférence à quatre à Munich.
Est-ce possible ? Oui. Le Quai d’Orsay confirme. Daladier part demain. C’est fini. Nous sommes saufs. Comble de joie : c’est la paix fasciste, la paix qui nous vient de Mussolini. Et pas un mot d’invitation à l’affreuse Russie. On l’ignore, on la rejette dans les ténèbres extérieures. Et le [l’infect] Candide du jeune homme Fayard court les routes de France, avec ses oriflammes, ses taratata et ses adieux vibrants aux petits soldats. Sieg ! Heil ! Arriba ! Viva il Duce ! Il y a tout de même quelques bons moments dans cette garce de vie.
« C’est dommage. Mussolini aurait bien pu attendre vingt-quatre heures. Notre Je Suis Partout arrive après la bataille. Quel sacré métier ! Un si beau numéro ! »
Mais à la nuit tombée, dans la rue, nous vîmes que les Parisiens n’avaient encore rien compris. L’angoisse restait collée à tous les visages. Avec ses blancs énormes de journal de guerre, ses pancartes flamboyantes et ses titres furieux, notre numéro fit un assez beau bruit.
Le soir même, tout fier, je le montrais à Maurras. Pour je ne sais plus quelles raisons de mise en page, son nom, suivi d’une colonne d’un texte superbe, ne figurait pas en première place dans notre tableau d’honneur. Il ne vit plus rien d’autre, tança vertement notre inconséquence politique et me battit froid huit jours.
CHAPITRE V -
LES VAINCUS DE MUNICH
Les témoins assurent que le 30 septembre, à son arrivée de Munich, Daladier chancelait en descendant de l’avion, terrifié à l’idée des huées qui allaient l’accueillir, à moitié saoul du champagne dont il venait d’abreuver largement son angoisse. Il fallut un moment avant qu’il comprît que la foule qui courait à sa rencontre ne l’insultait pas, mais l’applaudissait.
Je n’étais pas là. Mais rien ne paraît plus
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