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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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faiblesses de l’adversaire une expérience un peu improvisée sans doute, mais qui demeurerait. Il connaissait désormais les erreurs à éviter, les hommes à abattre, ceux qu’il suffirait de neutraliser, ceux qui se laisseraient gagner. Il pourrait maintenant fignoler ses manœuvres sur un terrain bien repéré. Il semblait peut-être en échec. Mais c’était pour lui une grande victoire que d’avoir pu déterminer pendant trois semaines une crise de cette ampleur, qui nous avait obligés à démasquer toutes nos batteries, à user nos meilleurs arguments, qui avait dangereusement secoué les nerfs et les esprits du pays. C’était pour lui un triomphe que d’avoir été libre de jouer ainsi avec ses effroyables torches, que d’avoir pu habituer à l’idée de la guerre des millions de cœurs et de têtes.
    Nous étions ainsi, après déjà tant de défaites, les vrais vaincus de Munich. Nous, c’est-à-dire tous les nationaux, jusques et y compris les fascistes de Je Suis Partout. Les journaux grossoyaient encore les louanges de Daladier que nous apercevions dans nos rangs les plus fâcheux tiraillements. Chez notre ami Doriot, dont l’énergie et les progrès nous avaient tant séduits depuis une année et que nous épaulions de notre mieux, la campagne de septembre se soldait par une dissidence. Plusieurs des meilleurs lieutenants du Chef réprouvaient la franchise de son pacifisme. Leur démission décapitait le parti et le stoppait en plein essor. Dans de vieux clans ridicules, mais qui pouvaient encore servir au Parlement, celui de la Fédération républicaine, par exemple, l’anarchie était à son comble. Dans le clergé, l’armée, la bourgeoisie, les affaires, Kerillis avait certainement gagné des indécis.
    Durant les premiers jours d’octobre, je rencontrais sur les boulevards le caricaturiste Sennep, véritable historien de toutes les bouffonneries éphémères ou permanentes du régime. J’aimais non seulement son esprit et sa fantaisie, mais le sens politique qu’il savait toujours mettre dans son jeu de massacre. Je fus stupéfait et exaspéré de l’algarade qu’il me fit : nous étions les traîtres de Je Suis Partout, traîtres peut-être encore inconscients, mais éminemment dangereux. La colère de Sennep signifiait la défection de tout un grand pan de la droite. L’alliance des nationaux contre les blumeries de 1937 avait été, je l’ai dit, bien précaire. Mais c’était l’union sacrée auprès des discordes qui nous attendaient.
    * * *
    Nous aurions pu facilement remplacer les déserteurs par tous les compagnons de lutte que nous venions de trouver à gauche. Maisl ’Action Française, cerveau du parti de la paix, était bien trop confinée dans ses habitudes et ses rigueurs pour devenir capable de rassembler les forces pacifiques. À Je Suis Partout, les plus bouillants d’entre nous, tels Brasillach ou moi-même, ne parvenaient toujours pas à élargir les ambitions de notre petite troupe.
    C’eût été cependant le moment ou jamais de tenter nos chances. Nous avions connu pendant plus de deux années la volupté aigre-douce de faire un journal sans rival en France par son accent, son énergie, sa sagesse, la véracité de ses nouvelles et de ses prévisions, et dont la presse entière, si prodigue de salamalecs confraternels pour les plus ignobles torchons, feignait d’ignorer même le nom. Mais pendant la bataille de septembre, nos ennemis avaient pu reconnaître que nous devenions vraiment redoutables, et que le silence n’était plus une méthode suffisante contre nous. Voilà qu’ils nous décernaient la vedette de l’infamie. Le procédé était d’ailleurs charmant : vous n’êtes, comme des assassins, tirés de l’obscurité que pour répondre de vos crimes. Mais de toute façon, nous touchions à la célébrité.
    Nous ne sûmes certainement pas en tirer le profit que nous méritions, et notre cas fut celui de tous les pacifistes français. Durant ces semaines d’octobre 1938, par leurs hésitations et leurs scrupules, ils perdirent des armes qui leur manquèrent cruellement quand la partie décisive se joua onze mois plus tard.
    Au lendemain de Munich, encore tout étourdis et éreintés, nous avions commencé par dresser une superbe liste des canailles du bellicisme, avec les châtiments que nous exigions. C’était de l’énergie à bon compte et un extravagant crédit accordé à Daladier, qui se garderait bien d’inquiéter cette

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