Les Décombres
tout venant qu’un patriotisme confondu avec le point d’honneur nous paraissait détestable et niais, que nous aimions fort les héros militaires ou plus simplement les bons soldats, mais que quant à nous, nous avions pour devoir de nous faire un patriotisme aussi lucide et prévoyant que possible, et que ce patriotisme-là commandait pour la France la paix à n’importe quel prix.
Nous étions les « fascistes munichois » ? Mais parfaitement, messieurs ! Et à Dieu ne plût que nous le fussions toujours et jusqu’au bout. On s’était bien entendu pour un jour avec M. Hitler. Puisque ce premier pas était fait, ne pourrait-on donc pas s’entendre pour dix ans ? Si les antifascistes s’agitaient avec tant de fièvre, n’était-ce point parce que ce premier pas les épouvantait, qu’ils imaginaient déjà une France leur échappant enfin, prenant la seule voie bonne pour elle, c’est-à-dire fatale pour eux, pour leurs prébendes, leurs sectes, leur religion ? On s’indignait de la défaite de Munich ? Nous, nous pensions comme le soldat des Croix de bois que c’était une victoire, parce que notre pays en était sorti vivant. On étalait en gémissant les pertes de cette journée fameuse. Nous, nous comptions les bénéfices. Le pays avait gagné le temps de se refaire. Il venait de donner un superbe croc en jambe à cette Tchéquie de malheur par la faute de qui, depuis des mois, on ne respirait plus. Il s’était dégagé, vaille que vaille, mais dégagé tout de même, du plus compromettant de ses engagements. Ce n’était pas une politique fort reluisante ? Mais qui nous avait ôté les moyens d’en faire une autre ? Nous tirions une extrême fierté d’être pour cette politique, parce qu’il est plus méritoire de vouloir le bien de sa patrie en dépit du scandale, des injures, de la bêtise publique, qu’avec l’assentiment de tout un peuple pâmé.
Mais nous ne pouvions pas exiger de tous nos compagnons une pareille anesthésie de leur amour-propre. Nous ne pouvions pas leur interdire de se disculper, de plaider en belle et due forme contre le réquisitoire de leurs insulteurs. C’était la faiblesse classique d’une foule d’honnêtes gens de chez nous, acharnés à démontrer leur bonne foi et leur logique devant des escrocs fieffés ou des déments. On voyait donc s’instituer une controverse de Munich où les chances de la loyauté étaient aussi dérisoires que devant les enquêteurs maçonniques du 6 février.
Tous les nationaux venaient aussi de l’antigermanisme. Il était par trop tentant pour eux de fournir dans un tel débat cet alibi. Leurs ennemis se gardaient bien d’en tenir le moindre compte et redoublaient au contraire leurs coups. La crapule manœuvrait ainsi à sa volonté l’élite du bon sens français.
* * *
Il faut dire que l’Italie, en se mettant à réclamer Nice, la Corse et la Savoie quelques semaines après Munich, ne facilitait guère la besogne aux partisans irréductibles du fascisme français et de la paix fasciste. Notre petite bande de Je Suis Partout avait supporté jusque-là unie au coude à coude la grande contre-attaque judéo-belliciste. Mais, pour la première fois depuis trois années, notre étonnante harmonie était entamée. Les manifestations italiennes m’affligeaient comme l’injure d’un ami intime et que l’on a partout vanté. Il ne me semblait pas indispensable d’en faire part aux foules. Robert Brasillach, d’une fermeté admirable en ces jours-là, et moi-même, nous nous évertuions à répéter : la « ligne » plus que jamais la « ligne », accrochons-nous à la « ligne fasciste ». Mais il devenait manifeste que certains de nos meilleurs amis commençaient à juger notre obstination outrée. L’événement nous révélait qu’il y avait parmi nous des croyants ingénus dont la foi ne souffrait aucune déception, ou bien des dilettantes nerveux, d’intelligents inconstants qui lâchaient au premier accroc une doctrine neuve. Gaxotte, désenchanté de Rome, se soulageait en tête de notre journal par un article railleur et méchant. Je me démenais de mon mieux, je battais le ralliement des vérités premières égaillées : « Fallait-il renier une doctrine que nous avions faite nôtre dans toutes ses conséquences ? Notre pays gardait-il, oui ou non, un intérêt capital à ménager l’Italie ? » J’aurais voulu dans cette querelle un mâle raisonnable et calme. Mais nous ne
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