Les Décombres
clique. Puisqu’elle resterait sûrement impunie, c’était aussi avouer notre faiblesse. Nous eussions mieux fait de garder notre fermeté pour les prochains assauts de ces gredins.
Une des pires ignominies de l’histoire de France aura été certainement l’abominable chantage au patriotisme exercé par les désarmeurs, les juifs errants, les socialistes internationaux, les stipendiés de toutes les caisses étrangères. Seuls, des Juifs avaient pu concevoir une aussi cynique et subtile perfidie. Les Juifs jugeaient encore d’après leurs propres instincts en voyant dans les « Munichois » des agents de l’étranger. Inaccessibles à tout sentiment du sol, comment fussent-ils parvenus à se représenter notre francophilie ? On a qualifié depuis avec beaucoup de véhémence leur spéculation. On a trop peu admiré son habileté. On n’a pas voulu voir surtout ni condamner la jobardise de ceux, innombrables, qui y ont cédé. Car sans ces nigauds, la manœuvre eût été vaine, et notre pays serait encore entier et fort.
Le parti de la guerre restait après Munich intact, bien uni, aiguillonné par ses mécomptes, redoublant de virulence devant des nationaux divisés et indécis, comme le propre de leur nature semblait l’ordonner. Les bellicistes avaient aussitôt trouvé leur nouveau thème : la capitulation de Munich, opprobre de l’honneur français. Nous aurions dû traiter du plus haut de notre mépris ces crapules qui un an avant rentraient à coups de poing la Marseillaise dans la bouche des patriotes, et piétinaient les trois couleurs devant la tombe du Soldat Inconnu. Nous nous crûmes tenus de leur donner la réplique, de nous user dans une interminable dispute. Nous étions, hélas ! de bons Français chatouilleux. Nos lecteurs l’étaient aussi.
Maurras, chaque nuit, tirait en l’honneur d’un Kerillis ou d’un Buré d’éblouissantes fusées de dialectique. Mais son art servait moins la paix qu’une placide, pratique et grosse affirmation. Maurras distinguait à longueur de colonnes entre la capitulation et la négociation. Mais il ajoutait vite qu’il n’y avait point lieu d’être fiers de Munich.
Imprudent corollaire : il eût bien plutôt fallu crier à tue-tête notre joie que Munich eût sauvé la paix et la patrie, étouffer sous nos clameurs d’allégresse la voix de nos ennemis.
On pouvait prévoir sans peine que la campagne belliciste allait instrumenter dans tous les tons ce thème : l’hitlérisme des défenseurs de la paix, mués indistinctement en serviteurs de l’Allemagne. C’était la formule la plus grossière, la plus stupide, la plus effrontée, c’est-à-dire la meilleure pour un pareil usage. Les manieurs de populace qui l’avaient inventée le savaient bien. L’énormité de la calomnie ne les embarrassait pas. Peu importait que nous eussions été les prophètes infaillibles et anxieux d’une restauration de l’Allemagne militaire, que nous eussions prêché durant des années la résistance au germanisme. La plèbe et les imbéciles l’ignoraient. Ils se rappelaient seulement qu’au temps du briandisme, on nous désignait à eux comme les agents des marchands de canon. L’agent des marchands de canon devient tout naturellement l’homme de M. Hitler, qui fabrique les plus gros canons du monde. Le tour est joué. Cela fait même une superbe image d’Épinal.
Je voulais qu’à Je Suis Partout, nous prissions carrément les devants. Rien n’était plus facile que de faire avorter en le démasquant un plan de l’ennemi dont nous connaissions tous les détails. J’y avais consacré à Lyon une de nos conférences où nous chauffâmes au rouge notre public. Je ne pus obtenir que cette petite guerre préventive fût poussée plus loin. Mes amis trouvaient peut-être la manœuvre trop périlleuse. Tous aussi, nous étions beaucoup trop des amateurs de politique, admirant chez les autres la force des gros moyens, mais reculant devant leur vulgarité et leur monotonie lorsqu’il s’agissait pour nous de les mettre en œuvre. Or, dans le cas en question, il eût fallu gueuler sans relâche jusqu’à rompre les oreilles de l’adversaire, et couvrir ses calomnies de nos clameurs.
* * *
La campagne de l’hitlérisme des nationaux mordait sur nous parce que nous étions purs et patriotes. Je dois cependant cette justice à deux ou trois de mes amis et je la dois à moi-même : nous ne nous sentions nullement embarrassés pour dire à
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