Les derniers jours de Jules Cesar
une folie.
— Tu n’es pas obligé. Je peux te comprendre.
Rebroussons chemin. Je te donnerai un cheval robuste et expérimenté, capable de
parcourir le raccourci.
— Je vais m’écraser sur les rochers… Comme ça, dans le
noir… Ou mourir de froid.
— La moitié des gens s’en tire.
— L’autre moitié y laisse sa peau. »
Le vieil homme haussa les épaules, l’air indifférent.
Mustela songea qu’il avait été bien stupide de dépenser une somme pareille pour
s’offrir un voyage dans l’Hadès. Mais, de toute évidence, il craignait encore
plus de devoir rendre compte d’un éventuel échec, car il finit par se glisser
dans l’eau en se tenant aux rochers qui saillaient sur la rive.
Il s’opposa un moment au courant, puis s’y abandonna et
disparut dans le noir, englouti par le tourbillon.
In
Monte Appennino, Caupona ad Silvam, a.d. VI Id. Mart.,
prima
vigilia
Monts
de l’Apennin, auberge La forêt, 10 mars,
8 heures
du soir
Publius Sextius parcourait au galop la piste qui se
déroulait au fond de la vallée avant de grimper vers l’arête. Il suivait
l’itinéraire de Nebula, quittant l’Émilie pour couper par la chaîne montueuse,
au sud, en direction de l’Étrurie.
Comme la route montait, il ralentit son cheval, qu’il
mettait de temps en temps au pas afin de lui permettre de souffler. Il regrettait
d’obliger cet animal généreux à accomplir un effort aussi dur, de le pousser
jusqu’à ses limites pour disputer une course presque désespérée contre le
temps. Quelques gouttes tombèrent. Alors que la mansio apparaissait à sa
vue, l’orage éclata.
Le centurion sauta à terre et se dirigea vers l’écurie.
« Quelque chose ne va pas, soldat ? lança-t-il à
un des légionnaires de garde, qui semblait l’avoir reconnu.
— Non. J’ai l’impression de t’avoir déjà vu quelque
part.
— En effet. Tu es de la XIII e , n’est-ce
pas ?
— Par tous les dieux ! Mais tu es…
— Centurion de première ligne Publius Sextius.
— Puis-je t’être utile, centurion ? demanda le
soldat en lui rendant son salut. Je serais honoré de te servir. Il n’y a pas un
seul combattant de l’armée des Gaules qui ne connaisse tes exploits.
— Oui, mon garçon. J’ai besoin de me reposer deux
heures pendant qu’on me prépare un cheval et un repas. Sois vigilant. Si un
homme devait arriver, avertis-moi immédiatement, en particulier s’il pose des
questions. Tu as compris ?
— Tu peux compter sur moi, centurion. Ici, l’air
lui-même ne passe pas sans notre autorisation. Tu peux dormir tranquille.
J’aurai quelque chose à raconter à mes petits-enfants quand je serai
vieux : par les dieux, Publius Sextius dit “le Bâton” en personne !
Je n’arrive pas à le croire !
— Merci. Tu ne le regretteras pas. Tu m’auras rendu un
fier service et je m’en souviendrai. Comment t’appelles-tu, mon garçon ?
— Bebius Carbon, répondit le soldat, raidi dans le
salut militaire.
— Très bien. Garde les yeux bien ouverts, Bebius
Carbon. C’est une sale nuit. »
Un autre soldat se chargea du cheval et le conduisit à
l’écurie. Sa cape sur la tête pour se protéger de la pluie, Publius Sextius
gagna la porte de l’auberge et entra. Il était épuisé, mais persuadé que deux
heures de sommeil suffiraient à le revigorer.
L’aubergiste vint à sa rencontre. « Il faut que tu sois
terriblement pressé pour te promener par une nuit pareille, l’ami. Mais te
voici confié à nos soins, et tu peux être tranquille.
— Je crains qu’il n’en soit rien. Prépare-moi quelque
chose à dîner et réveille-moi dans deux heures. Je mangerai et je
repartirai. »
Son ton était péremptoire, son regard et sa prestance
inspiraient crainte et respect. L’aubergiste ordonna à un serviteur de
l’accompagner à l’étage et se rendit à la cuisine. Dehors, le vent se
renforçait et il pleuvait à verse, mais la température avait beaucoup baissé et
le grésil se mêlait maintenant à l’eau, recouvrant le sol d’une bouillie
blanchâtre. Quand Publius Sextius se réveilla, il avait cessé de pleuvoir et il
neigeait à gros flocons.
Il ouvrit la fenêtre. À la lumière des deux lampes qui
éclairaient la cour, il regarda les flocons tourbillonner dans la tramontane.
La neige qui se posait sur les branches s’épaississait à vue d’œil. La chambre
était tiède grâce aux braseros et au foyer qui réchauffait
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