Les derniers jours de Jules Cesar
cas sa tentative de couronner César en public ? Il avait
certainement prévu la réaction du peuple, alors pourquoi ne s’était-il pas
interrogé sur celle de César ? Il se croyait probablement protégé par sa
prétendue naïveté, cependant il ne pouvait ignorer que si une conjuration
visait à supprimer César, son geste contribuerait à l’affaiblir et l’isoler.
Quelle fin poursuivait-il ? Quels mobiles avait-il ?
Ces questions revenaient sans cesse à l’esprit de Publius
Sextius, comme s’il se tapait la tête contre un mur. Pour se distraire, il
regardait la neige tomber à gros flocons dans le rayon lumineux de la torche et
observait les empreintes des chevaux qui avançaient lentement, de plus en plus
lentement, alors que lui-même aurait aimé filer comme le vent, dévorer la
route, atteindre le but avant qu’il ne soit trop tard. Peut-être était-il
vraiment trop tard, peut-être ses efforts étaient-ils inutiles.
Parfois, lorsque l’étau du froid semblait se relâcher sous
l’effet d’il ne savait quels équilibres de l’air et de la terre, il avait le
sentiment que la solution était proche. La réponse se restreignait sans doute à
quelques personnes, trois ou quatre, pas plus, aux relations qu’elles
entretenaient avec le pouvoir, à leurs intérêts. Il devait passer au crible
toutes les hypothèses, les objectifs des uns et des autres, les croiser, les
confronter. De temps en temps, il était saisi par l’envie de mettre pied à
terre et de tracer des équations dans la neige, de la pointe de son couteau,
ainsi qu’il avait tracé tant de fois dans la terre, autour du bivouac, les
plans de bataille pour son détachement. Mais ces équations se dissipaient
bientôt en mille fragments, et il se rendait compte qu’il s’égarait de nouveau.
Il lui arrivait aussi de se demander si la carte que Nebula
lui avait laissée à Modène avant de s’évanouir dans les vapeurs du matin
n’était pas un appât destiné à le conduire dans un piège. Il finit par conclure
qu’il n’avait pas le choix : il lui fallait courir ce risque pour éviter de
livrer son message trop tard. C’est alors que Sura brisa le silence, lui
annonçant que les sources de l’Arno étaient proches et qu’ils empruntaient une
ancienne piste étrusque.
Publius Sextius poursuivit son chemin, en proie à mille
inquiétudes.
In
Monte Appennino, a.d. V Id. Mart., tertia vigilia
Monts
de l’Apennin, 11 mars, après minuit
Une seule personne souffrait autant que Publius
Sextius : Rufus qui, au même moment, s’enfonçait dans les terres, coupant
à travers la montagne pour rejoindre la via Flaminia minor. Il commença bientôt
par suivre la trace à peine visible d’un sentier tortueux, le long du
contrefort occidental de la vallée du Reno. Peu à peu, en mettant souvent pied
à terre, il atteignit la rive. Le temps s’était détérioré. De la neige tombait,
mêlée à une pluie insistante qui glissait sur sa cape de laine brute et
gouttait au bas.
Il trouva le gué, aidé par le bruit de l’eau entre les
rochers. Au centre, le fleuve était assez profond et l’eau arrivait à la
poitrine de l’animal. Il se dirigea ensuite vers la rive opposée sur un lit de
gravier et de sable.
Il entama une nouvelle ascension. En hauteur, la clarté du
manteau neigeux lui permit de s’orienter le long d’un itinéraire qu’il avait
parcouru de nombreuses fois. À mi-côte, il gagna la cabane d’un berger qu’il
connaissait bien, où il put boire un verre de lait chaud et manger un morceau
de pain et du fromage. Les flammes du foyer éclairaient la pièce dont les murs
crépis de boue sèche étaient noircis par la fumée. Une odeur de brebis imprégnait
non seulement l’air, mais aussi le maître des lieux et le molosse couché près
du foyer. Un animal hirsute auquel chacun donnait le nom qui lui plaisait.
Rufus lui lança : « Comment ça va, sale bête ? » et le
gratta derrière ses oreilles infestées de tiques avant de s’asseoir sur un
tabouret.
« Qu’est-ce que tu fais dehors à cette heure-ci ?
interrogea le berger dans un mélange de latin et de dialecte ligure difficile à
comprendre.
— J’ai un message urgent à remettre. Quelle est la
situation là-haut, sur la crête ?
— Le passage est praticable. Mais fais attention :
j’ai vu une meute de loups, un vieux mâle, deux ou trois jeunes et quatre ou
cinq femelles. Ils pourraient attaquer les jarrets de
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