Les derniers jours de Jules Cesar
principale et de s’engager dans
l’allée.
Il fut accueilli par l’aboiement furieux des chiens et par
un bruit de pas sur le gravier de la cour. Il sauta à terre pour demander à
être reçu, mais il fut pris de vertige et s’effondra. Il entendit une voix :
« Appelle le fermier, vite ! Malédiction, cet homme
agonise ! »
Il sentit les chiens s’approcher. L’un d’eux se mit à
grogner, l’autre à lécher sa blessure.
Des mains se refermèrent sur ses jambes et ses pieds. Au
prix d’un grand effort, il murmura à l’homme qui le tenait par les bras :
« Dis à ton maître que Mustela doit lui parler immédiatement.
— Qu’est-ce qu’il raconte ? interrogea le fermier
qui marchait à côté des chiens.
— Il dit qu’il doit parler à notre maître et qu’il
s’appelle Mustela.
— Dépêche-toi, fils de pute, grogna encore Mustela, à
moins que tu n’aies envie de te retrouver à la meule. Ton maître t’écorchera
vif s’il apprend que tu ne lui as pas délivré mon message. »
Le fermier s’immobilisa. Il examina l’homme qu’il
s’apprêtait à faire jeter dans la fosse à purin. À la vue de sa blessure et du
poignard coûteux qui dépassait de sa tunique déchirée, il fut saisi d’un doute.
« Arrêtez-vous », ordonna-t-il.
Chapitre X
Romae,
in insula Tiberis, a.d. V Id. Mart., ora tertia
Rome,
île Tibérine, 11 mars, huit heures du matin
Parti d’Ostie en bateau, Antistius avait atteint de bonne
heure son dispensaire près du temple d’Esculape et préparé ses consultations de
la journée. Formé aux enseignements d’Hippocrate, il attribuait une grande importance
à la symptomatologie, à l’anamnèse, et aimait la propreté. Il rédigeait donc
pour chaque patient un mémo décrivant soigneusement sa maladie, le régime
conseillé, les remèdes administrés et les résultats obtenus. Il avait pour
habitude de fouetter ses esclaves lorsqu’il découvrait de la poussière ou
d’autres saletés dans les coins les plus éloignés et les moins visibles.
Il attendait, de surcroît, un client prestigieux :
Artémidore, qui souffrait de nouveau de son vitiligo.
L’un des secrets d’Antistius était la médecine empirique,
faiblesse qu’il n’aurait jamais avouée, pas même sous la torture.
Au cours de sa longue pratique de l’art médical, il était
parvenu à la conclusion que les femmes étaient dépositaires d’une sagesse
thérapeutique grandement supérieure à celle des hommes en se fondant sur une
simple considération : depuis des temps immémoriaux, elles s’étaient
consacrées à leurs enfants, dont la survie leur importait plus que leur propre
vie, et avaient élaboré pour cette raison des remèdes dont elles avaient
expérimenté l’efficacité. En d’autres termes, elles ne se souciaient pas des
causes des maladies, des équilibres ou des déséquilibres d’humeurs et
d’éléments dont elles découlaient. Une seule chose les intéressait : que
ces maladies n’emportent pas leurs enfants. Voilà pourquoi elles avaient à cœur
de les combattre avec les remèdes adéquats.
Les hommes étaient bien plus doués en chirurgie :
inciser, scier, cautériser, amputer, recoudre… Ils excellaient dans ces
pratiques plus brutales, qu’ils avaient dû perfectionner sur les champs de
bataille où, depuis des temps tout aussi immémoriaux, on envoyait au massacre
des dizaines, des centaines de milliers d’hommes pour des raisons qui n’avaient
jamais été approfondies et encore moins expliquées.
C’est ainsi qu’Antistius était devenu le médecin de Caius
Julius Caesar : grâce aux talents avec lesquels il soignait les membres
martyrisés des rescapés du champ de bataille et contrecarrait les attaques de
maux sournois en appliquant des remèdes qu’il était le seul à connaître et dont
il ne révélait la composition à personne.
Quand son assistant lui annonça qu’Artémidore était arrivé,
Antistius lui ordonna de le faire entrer immédiatement. Il jeta un coup d’œil à
l’extérieur : il n’y avait pas de litière. Artémidore était donc venu à
pied.
« Comment ça va ? demanda-t-il.
— Que veux-tu que je te dise ? Ces Romains sont
pleins de bonne volonté, j’en conviens, mais quelle tristesse… Leur accent est
insupportable quand il s’applique aux maîtres de notre poésie. Si ta question
concernait mon dérangement, regarde, j’ai l’impression que cela recommence à
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