Les derniers jours de Jules Cesar
ton cheval à la faveur de
la nuit. Je te conseille d’emporter un tison et de le garder allumé jusqu’au
sommet.
— Merci du conseil. »
Rufus laissa deux as à son hôte et retrouva l’air libre avec
soulagement.
Il saisit les rênes de son cheval et s’achemina à pied. Il se
demanda à quelle distance on distinguait la flamme du tison qu’il avait emporté
et se dit que, au même moment, son chef le regardait peut-être de la terrasse
supérieure de Lux fidelis. Il avait l’impression de l’entendre
marmonner : « Le voici. Je parie un mois de paie que ce salopard a
déjà atteint la crête. »
En effet, il touchait presque au but. En haut, à moins d’un
mille, un groupe de sapins séculaires marquait la frontière.
Le cheval fut le premier à entendre les loups. Un instant
plus tard, il les aperçut lui aussi : la flamme du tison se reflétait dans
leurs yeux avec un éclat sinistre. Il n’avait même pas de caillou à leur
lancer. Il cria et gesticula. Les bêtes s’enfuirent mais s’immobilisèrent
quelques pas plus loin.
Puis ils se mirent à tourner autour de lui en grognant,
manœuvre qui ne laissait augurer rien de bon. Pour sûr, ils élaboraient une
stratégie visant à isoler et attaquer leur proie. Et la proie n’était autre que
lui, ou son cheval, ou encore les deux.
Il avait du mal à calmer l’animal, terrifié. S’il
s’échappait, c’en serait fini de lui. Il attacha les rênes à la branche d’un
arbre et empoigna son couteau.
Les loups n’avaient jamais constitué un problème : il
avait toujours été facile de s’en débarrasser. Pourquoi donc étaient-ils à présent
aussi tenaces et agressifs ? Rufus songea à une légende de son peuple
ancestral, conduit en Italie par un loup. Or, les bêtes auxquelles il avait à
présent affaire étaient affamées et animées de mauvaises intentions. Il
s’adossa à un grand sapin dont les branches basses, devina-t-il au toucher,
étaient sèches : les dieux venaient à son secours. Il les brisa et les
alluma. Une flamme s’éleva aussitôt, alimentée par la résine. Elle repoussa les
loups, mais juste à la limite du cercle lumineux. Son cheval hennissait et
ruait, il se cabrait en essayant d’arracher ses rênes. S’il n’avait pas eu de
mors, il se saurait sauvé depuis longtemps. Rufus se demanda si son chef voyait
aussi ce feu de la terrasse de Lux fidelis. C’était probable, mais
personne ne quitterait le poste sans raison.
Le duel entre le feu et la faim s’achèverait bientôt par
épuisement du feu. Rufus se résigna à accomplir un acte qui le répugnait
profondément. Il pria les dieux de ses ancêtres de lui pardonner et entassa ses
dernières branches contre le tronc du sapin, qui prit feu à son tour, se
transformant en une gigantesque torche. Son âme celtique fut saisie
d’horreur : il lui semblait entendre hurler l’esprit du grand arbre,
martyrisé par le feu. Son âme romaine justifia son action : il exécutait
un ordre de ses supérieurs.
Les loups s’étaient enfuis. Rufus ramassa une branche
enflammée, monta à cheval et poursuivit sa route à travers une clairière.
Enfin, il atteignit les dalles en grès de la via Flaminia minor.
Lux
fidelis, a.d. V Id. Mart., tertia vigilia
« Lumière
fidèle », 11 mars, troisième tour de garde,
une
heure du matin
Un serviteur réveilla le commandant, plongé dans son premier
sommeil.
« Bon sang, que se passe-t-il ?
— Maître, viens voir, vite ! »
L’officier jeta une cape sur ses épaules et gagna la
terrasse supérieure. Une vision fantasmagorique l’y attendait. Devant lui, à
une distance qu’il était difficile de déterminer, vers le sud, un globe
lumineux entouré d’un halo rougeâtre s’étirait en direction du vent avec une
sorte de queue luminescente. Il semblait suspendu dans le ciel.
« Par les dieux ! Qu’est-ce que c’est ?
— Je l’ignore, mon commandant, répondit la sentinelle.
Je n’en ai pas la moindre idée. Dès que je l’ai vu, j’ai envoyé le gamin te
réveiller.
— Une comète… avec une queue de sang… Par les dieux
tout-puissants ! Un événement terrible s’annonce. Les comètes portent
malheur… Soyez vigilants. Cette nuit est maudite. »
Il s’emmitoufla dans son manteau comme pour se protéger des
influences malignes, dévala l’escalier et s’enferma dans sa chambre.
Dehors, sur la terrasse, le domestique scrutait avec
stupéfaction
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