Les derniers jours de Jules Cesar
terrible qu’il
continuait de revivre en rêve. Plus d’une fois il s’était réveillé en criant
« Attention ! » pour s’apercevoir qu’il n’y avait plus personne
à mettre en garde. Plus d’une fois il avait entendu les cris de désespoir des
femmes, à bord du navire qui avait aussitôt déployé ses voiles afin de fuir
cette terre de traîtres !
Il était ensuite allé en Afrique, où il s’était uni aux
troupes républicaines de Caton et de Scipion Nasica, que César avait vaincues à
Thapsus. Pour terminer, il avait combattu sous l’étendard de Titus Labienus à
Munda.
Le triste bilan de ces nombreuses batailles était le
suivant : il avait perdu son unique fils et assisté au massacre de ses
compagnons.
Il avait toujours affronté d’autres Romains, par passion
politique, par rancœur, par soif de vengeance, et il en avait gardé une
amertume infinie, un sentiment qui l’avait rongé, rempli de rage contre
lui-même et contre le monde entier.
Sans espoir ni raison de vivre, il s’était retiré dans sa
villa entourée de cyprès séculaires. Vivant avec des tueurs, des gladiateurs,
des égorgeurs, il s’amusait de temps en temps à frapper ses adversaires
politiques qui menaient une existence tranquille, certains d’être à l’abri de
tout danger. Pour cela, il payait des mercenaires et ne se laissait jamais
démasquer. Mais nombreux étaient ceux qui connaissaient son identité et son
manège, sans oser toutefois réagir. Leurs protecteurs étaient au loin. Lui, il
était proche.
Et impitoyable.
Mustela lui avait offert une raison d’espérer. Tout n’était
peut-être pas perdu. Il suffisait d’arrêter un message qui filait sur les
routes de Rome et justice serait faite.
Tout en remâchant ces pensées, il se demandait s’il n’aurait
pas dû partir et s’exposer en défiant le destin et le danger. Il n’avait pu s’y
décider : comme paralysé, il avait omis de brider son cheval pannonien,
aussi noir que les cyprès qui dominaient la villa. Il regorgeait tant de fiel
qu’il n’arrivait plus à prendre d’initiative. Comme un lion en cage, il se
contentait d’arpenter sa demeure aux murs de laquelle n’étaient accrochées que
des reliques de défaites et d’humiliations.
Il y avait notamment un portrait de Caton qui, après la
défaite de Thapsus, s’était donné la mort à Utique pour ne pas avoir à vivre
sous la tyrannie. Il était représenté en train de haranguer le sénat, vêtu
d’une toge : Quintilianus était présent à cette séance, et il avait décrit
à l’artiste l’attitude du grand orateur et patriote avec tant d’efficacité que
l’image se révélait puissante et fidèle.
L’officier était également superstitieux. Dans un coin de la
pièce, un piédestal en bois sculpté soutenait une statuette en cire de Caius
Julius Caesar revêtu de ses ornements triomphaux : les insignes de la
victoire contre d’autres Romains, la récompense obtenue pour avoir piétiné le
sang de ses concitoyens. Cette statue était piquée d’un certain nombre
d’aiguilles que Sergius Quintilianus chauffait à la flamme d’une lampe avant de
les plonger dans la cire. Il avait ainsi l’impression d’enfoncer une épée dans
la chair du vainqueur de Pompée.
À présent, il ne lui restait plus qu’à attendre que ses
hommes interceptent les messagers. Il n’avait aucun doute sur les raisons de
tant de hâte, et les paroles de Mustela confirmaient son intuition : la
conjuration visant à tuer César avait fixé le jour du règlement de comptes. Un
jour très proche quoique encore secret.
Tuer… César… Il avait du mal à le croire.
Cette pensée s’enracina dans son esprit bouleversé.
Il fixait maintenant une porte devant lui.
Soudain, il l’ouvrit et pénétra dans le petit sanctuaire
domestique qu’il avait consacré à son fils défunt, transpercé sous ses yeux sur
le champ de bataille ensanglanté de Pharsale.
Il avait fait exécuter une statue de lui, au pied de
laquelle il avait placé l’urne contenant ses cendres. Il entrait de temps en
temps dans ce lieu de souffrance et s’y attardait. Il avait l’impression de
pouvoir parler au jeune homme et d’entendre sa voix lui répondre.
Il déclara : « Cette fois, j’y vais, moi aussi. Je
te vengerai, mon fils. Si j’échoue, au moins je te rejoindrai dans l’Hadès. Je
mettrai ainsi fin à une vie insupportable. »
Entre-temps la nuit était tombée. Sergius
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