Les derniers jours de Jules Cesar
mes prescriptions, tu n’en auras pas besoin avant
longtemps. »
César se leva, enfila sa tunique militaire et emboîta le pas
à Silius. Tous deux se dirigèrent vers la Domus Publica.
« Hélas, nous n’avons pas de nouvelles de Publius
Sextius. Mais pourquoi es-tu aussi inquiet ? Tu as déjà reçu les
renseignements que tu attendais. Pourquoi as-tu encore besoin de lui ?
interrogea l’aide de camp d’une voix empreinte de jalousie.
— Tu as raison, Silius, mais en cette période je
ressens la nécessité d’être entouré de gens de confiance, et Publius Sextius en
fait partie. Je veux qu’il soit présent. Quand j’ai reçu son premier message,
j’ai pensé qu’il le suivrait rapidement. Son absence n’est pas normale. »
Une fois à la Domus, Silius précéda le dictateur vers
le cabinet et lui indiqua, posé sur un plateau d’argent, le minuscule cylindre
en cuir, scellé, qui venait d’arriver. Il semblait tout usé. César sourit. Deux
mots retentirent alors dans son esprit :
« Tiens, scélérat ! »
Et ce jusqu’à l’obsession :
« Tiens, scélérat ! »
« Tiens, scélérat ! »
Ils étaient prononcés par Caton, mort à Utique : son
cauchemar, le spectre implacable qui le poursuivait comme une Érinye. Pourtant,
ils évoquaient un contexte plus comique que tragique. Vingt ans plus tôt, au
sénat, Caton l’avait accusé d’être de mèche avec Catilina et les siens. Tandis
qu’il haranguait la salle, César avait reçu un rouleau dans un cylindre en cuir
semblable à celui qui se trouvait à présent sous ses yeux. Cela n’avait pas
échappé à Caton, qui avait alors tonné : « En voici la preuve !
Cet impudent reçoit des instructions de ses complices dans cette même
salle ! »
Sans sourciller, l’homme d’État lui avait alors tendu le
message, et l’orateur indigné avait découvert une lettre d’amour torride écrite
par sa propre sœur, Servilia. Elle donnait rendez-vous à César chez elle, en
l’absence de son mari. Une prose très incisive qui ne laissait aucune place à
l’imagination. Caton la lui avait jetée au visage en criant :
« Tiens, scélérat ! »
César se rendit compte qu’il avait prononcé ces mots en
voyant la stupéfaction se peindre sur le visage de Silius.
« Ne t’inquiète pas, dit-il. C’est ma maladie. Il
m’arrive de confondre le passé et le présent. Je vis dans l’incertitude,
Silius. Et j’ai encore tant de choses à accomplir. Tant de choses. Mais
laisse-moi maintenant. »
Silius s’éloigna à contrecœur.
César décolla le sceau avec la pointe d’un stylet et ouvrit
l’étui. Il contenait un minuscule rouleau de parchemin sur lequel une main
familière avait écrit quelques mots. Il sourit et reposa le message dans un
coffret qu’il ferma à clef.
Il passa dans le vestibule de sa chambre, où il déposa sa
tunique et se vêtit soigneusement.
C’est alors que Calpurnia pénétra dans la pièce. Un rayon de
soleil éclairait ses yeux sombres. Bien qu’elle eût trente-trois ans, elle
conservait la beauté d’une jeune campagnarde.
« Que fais-tu ? Pourquoi ne demandes-tu pas de
l’aide ?
— Je n’en ai pas besoin, Calpurnia. Je suis habitué à
m’habiller seul.
— Qu’as-tu ?
— Je suis inquiet. C’est normal, quand on gouverne.
— Tu sors ? »
Le dictateur sentit un élan le pousser vers la femme qui
l’avait épousé pour des raisons d’État, qui aurait dû et voulu lui donner un
fils. Pour la première fois, son humble mélancolie le toucha : elle avait
toujours été une épouse modèle, au-dessus de tout soupçon, l’épouse parfaite
d’un chef, et il éprouvait de l’affection pour elle. Peut-être même de l’amour.
« Qui t’accompagne ?
— Silius. Dis-lui de m’attendre dans l’atrium. »
Calpurnia s’éloigna avec un soupir.
César acheva de se vêtir. Il ajusta sa toge sur son épaule
et descendit l’escalier.
« Où allons-nous, général ? demanda Silius.
— Au temple de Diane, au Champ de Mars. En réalité, tu
vas rester près de la Domus. Ainsi, on pensera que j’y suis moi aussi.
Si Calpurnia te demande pourquoi, réponds-lui que j’ai changé d’avis. C’est une
belle promenade. Cela me fera du bien après le massage.
— Cette sortie a-t-elle un rapport avec le message que
tu as reçu ?
— Oui. »
Le dictateur gagna le temple en méditant. Il entra dans le
sanctuaire vide et silencieux par une
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