Les derniers jours de Jules Cesar
continua :
« Hier soir, à l’heure du couchant, ta mère a quitté la
maison, la tête voilée, par la porte du lavoir après s’être fait remplacer dans
sa chambre par une servante. Elle a gagné à pied le temple de Diane où elle
s’est attardée un moment, moins d’une heure. Elle est rentrée de la même façon.
— Comment peux-tu affirmer quelle a vu César ?
— Qui d’autre aurait-elle pu voir ? Pourquoi
aurait-elle monté cette mise en scène ? Ta mère ne croit pas en les dieux,
elle ne s’est donc pas rendue au temple pour des raisons religieuses. Le seul
motif possible est une rencontre avec César. Et, s’il en est ainsi, nous sommes
tous en danger. Je suis prête à me sacrifier, tu le sais, et je n’ai pas peur,
mais si votre plan échoue, la République sera pendant des années à la merci
d’un tyran, humiliée, et elle ne se relèvera peut-être pas de l’état
d’abjection dans lequel elle est tombée. Oublie donc que Servilia est ta mère,
dis-toi qu’elle constitue un ennemi potentiel de l’État. Maintenant, je m’en
vais, prends calmement ta décision. Il y a dehors quelqu’un qui veut te parler.
— Qui ?
— Quintus Ligarius.
— Dis-lui d’entrer. »
Portia sortit en laissant derrière elle un parfum de
lavande, seule concession extérieure à sa féminité.
Quintus Ligarius pénétra dans la pièce. « Pardonne-moi,
Marcus Junius, dit-il avant même de s’asseoir. Je me rendais chez moi quand une
pensée et une image m’ont traversé l’esprit. Je voudrais t’en parler.
— Je t’écoute.
— Ce matin de bonne heure, quand nous nous sommes
rencontrés, Cassius de Parme et moi avons vu sortir hâtivement des latrines un
homme que nous avons remarqué chez toi à plusieurs reprises. Ton maître de grec,
Artémidore.
— Il arrive à tout le monde d’avoir des nécessités de
ce genre, commenta Brutus avec un sourire ironique.
— Oui, mais Cassius et moi discutions dans la cour, et
il aurait pu entendre. La porte des latrines est très mince.
— Vous parliez de sujets importants ?
— Comme tu peux l’imaginer, nous ne parlons que de ça
ces derniers temps.
— Je comprends. Mais je ne peux certes pas…
— Naturellement, je ne pensais pas à des mesures
radicales. Il convient toutefois de placer cet homme sous une étroite
surveillance jusqu’au jour dit. Bref, je l’empêcherais de sortir. Tes
domestiques peuvent veiller à ses besoins pour le moment.
— Tu as raison. Je veillerai à ce que nous ne prenions
pas d’autres risques.
— D’autres risques ? Courons-nous d’autres risques ?
— Pas que je sache, mentit Brutus.
— Heureusement. Plus les heures passent, plus le danger
augmente. Je m’en vais. J’attendrai ton signal.
— Je dois voir Cassius Longinus dans l’après-midi. Il a
des choses importantes à me dire. Peut-être sera-t-il nécessaire de nous réunir
rapidement.
— Tu sais comment me trouver. »
Dès que Ligarius se fut éclipsé, Brutus convoqua le
responsable des domestiques, un dénommé Canidius qui avait été très fidèle à
son beau-père et qui continuait de l’être à Portia, son épouse. Il l’invita à
s’asseoir puis lui demanda de faire surveiller Artémidore et de l’empêcher de
sortir pendant quelques jours.
« Jusqu’où dois-je aller ? interrogea Canidius.
— Si une interdiction orale ne suffit pas, n’hésite pas
à le brusquer. Mais sans trop le tourmenter, sans l’humilier et, surtout, sans
éveiller ses soupçons.
— Dois-je justifier cette privation de
liberté ? »
Brutus hésita un moment puis répondit : « Ce ne
sera peut-être pas indispensable. Artémidore n’a guère l’habitude de sortir. Je
vais lui confier une tâche urgente qui l’occupera tout le temps nécessaire.
S’il voulait toutefois sortir, dis-lui que la famille a cru bon d’instaurer une
réserve pendant une durée limitée, ou charge un serviteur de surveiller ses
mouvements. »
Canidius acquiesça avant de se retirer.
Entre-temps, Artémidore avait effectué une promenade
faussement nonchalante le long du péristyle du jardin intérieur. Une fois à la
hauteur de son point d’observation entre le jardin et les latrines, il avait
rebouché le trou qu’il avait pratiqué dans le mur au petit matin au moyen d’un
peu de plâtre amalgamé avec de l’eau puisée dans la fontaine. Il avait donc
l’esprit en paix, mais il brûlait de tenir la promesse
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