Les derniers jours de Jules Cesar
dissimuler chaque
fois qu’on frappait à sa porte.
Ses relations avec le maître de maison étaient
essentiellement fondées sur la transmission d’habilités techniques de la langue
grecque telles que la grammaire et la syntaxe du discours, le placement de la
voix et la capacité de citer les grands auteurs avec emphase et ardeur. Brutus
n’avait jamais voulu recevoir de lui des leçons de vie ou de méditation
philosophique, ce qui provoquait chez l’homme le sentiment d’être diminué,
dévalué en tant qu’intellectuel. Chaque fois qu’il abordait ce sujet, Brutus
détournait la conversation, laissant entendre qu’il ne l’estimait pas à la
hauteur de la tâche. Voilà pourquoi Artémidore haïssait son élève et se sentait
prêt à le trahir.
La foi stoïcienne du maître de maison était profonde,
presque fanatique, et son idole n’était autre que son oncle, mort à Utique.
Caton, le patriote, l’homme qui avait préféré mourir plutôt que d’implorer la
grâce du vainqueur, de renoncer à sa liberté.
Son adhésion à la cause de Pompée avant la bataille de
Pharsale avait correspondu, pour lui, à un choix héroïque : Pompée avait
fait tuer son père, mais comme il était alors le défenseur de la patrie, Brutus
avait jugé bon de se ranger à ses côtés en dépit de ses rancœurs personnelles.
Le cubiculum d’Artémidore communiquait directement
avec son cabinet. Il s’y était rendu à l’aube en entendant du bruit. Il avait
entrouvert la fenêtre et regardé dans la cour intérieure. Il y avait là
plusieurs personnes qu’il était difficile d’identifier depuis ce point
d’observation. Artémidore avait donc parcouru un étroit couloir à l’abri des
regards indiscrets et traversé une minuscule cour de service jusqu’aux
latrines, proches du lieu de rassemblement. Il avait ensuite perforé la mince
paroi qui les en séparait à l’aide d’un stylet et pu entendre ce qu’on disait
de l’autre côté.
Il colla l’œil au trou qu’il avait pratiqué dans la chaux.
Hélas, une tunique grise lui obstruait la vue. Il reconnut toutefois la voix de
Cassius qui s’adressait à des individus qu’il appelait Rubrius, Trebonius et
Petronius. Ce dernier interrogea : « Et Antoine ?
— Antoine, répondit le dénommé Trebonius, doit être
tenu à l’écart. J’ai toujours dit qu’il ne fallait pas l’impliquer dans notre
projet. »
Une autre voix déclara alors : « Ce faisant, nous
le laissons libre de disputer la partie à sa guise, les mains libres.
— D’après le vieux, il faudrait…
— Tais-toi, intima la voix de Brutus. Je connais ses
pensées. C’est une erreur. Hors de question. Le problème d’Antoine n’a rien à
voir avec le reste.
— Tu te trompes, intervint la mystérieuse voix. Il n’y
a pas plus proche de César qu’Antoine. De plus, il est consul en charge et il
pourrait prendre en main la situation quand nous serons passés à l’acte.
— Il ne réagira pas, répliqua Brutus, j’en suis
persuadé. Qu’en penses-tu, Quintus ? »
« Quintus, songea Artémidore. Il doit s’agir de Quintus
Ligarius. Oui. Il a été accusé de haute trahison devant César et Cicéron l’a
fait absoudre. » Désormais, il en était certain : il assistait à une
réunion de conjurés décidés à tuer César. Le groupe gagna le fond du jardin,
sans doute dans le but de gagner le cabinet de Brutus. La voix de Cassius,
qu’il avait entendue plus d’une fois dans cette demeure, retentit de nouveau.
Il se préparait à réintégrer sa chambre quand le pas d’un homme résonna sur le
gravier de la courette, derrière lui. Il se crut piégé. Un de ces hommes
comptait utiliser les latrines. Il le surprendrait dans une position non
seulement gênante mais aussi compromettante. Or, le bruit de pas cessa.
Artémidore en entendit un autre. Suivi de voix.
Quintus Ligarius disait : « D’après le vieux, il
faut le tuer, car il est trop dangereux. Et si tu veux connaître le fond de ma
pensée, Cassius, j’estime qu’il a raison.
— Oui, je suis d’accord. Antoine est trop dangereux. Il
convient de l’éliminer lui aussi. Il voudra venger son chef, puis en prendre la
place, ou vice versa. »
Le dénommé Cassius avait une voix différente de l’autre
Cassius. Il y en avait donc deux. Ce dernier devait être… mais oui, il avait
fait sa connaissance chez Brutus et s’était entretenu avec lui du théâtre
tragique, un soir où
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