Les derniers jours de Jules Cesar
bien :
dès qu’il fera jour, sors en prétendant que tu vas m’acheter un médicament
contre le vitiligo qui me provoque des démangeaisons insupportables, ce qui est
d’ailleurs la pure vérité. Tiens, prends de l’argent. Va ensuite sur l’île
Tibérine, au dispensaire d’Antistius, mon médecin. Dis-lui que je t’ai envoyé
et demande-lui de te garder quelques jours. Tu seras en sécurité car il vit
dans la demeure de César, la Domus Publica. Personne ne songerait à t’y
chercher. Tu as compris ?
— Oui. Veux-tu aussi que je lui donne les noms ?
— Chut ! Tu es fou ! Parle plus bas. Non, ne
dis rien. Reste en dehors de cette affaire. Je m’en charge moi-même.
— As-tu un message à lui transmettre ?
— Voyons ! Que feras-tu si l’on te pince et te
fouille ? On te mettra en pièces peu à peu pour s’assurer que tu racontes
jusqu’au dernier lambeau de vérité. Je m’en charge. Je ne sais pas comment,
mais je me débrouillerai. Je trouverai bien le moyen de sortir. Tu as
compris ?
— Oui. »
Artémidore ouvrit un petit meuble et en tira une feuille de
parchemin qu’il remit au garçon. « Ceci est une ordonnance d’Antistius
pour une préparation contre la constipation. Il la reconnaîtra et il aura la
preuve que je t’ai envoyé. Cela t’apportera aussi une couverture au cas où tu
serais arrêté. Si Antistius te demande de mes nouvelles, dis-lui que je ne suis
pas libre de mes mouvements mais que j’irai le trouver dès que possible.
— Dans ce cas, j’y vais.
— Bonne chance. Si tout se passe comme je l’espère,
nous nous reverrons dans quelques jours. »
Le jeune esclave lança à Artémidore un regard qui mêlait de
l’affection à la compassion, puis ouvrit la porte et s’éloigna.
Artémidore demeura un moment sur le seuil. Une fois assuré
qu’il n’y avait personne, il avança dans la même direction. Il s’apprêtait à
tourner à gauche, vers le péristyle, quand il tomba nez à nez avec un des
gardiens.
« Où vas-tu comme ça ? », interrogea l’homme
d’un ton moqueur.
Artémidore fut saisi d’un élan de crainte qui s’effaça
aussitôt derrière de l’irritation. « Aux latrines », répondit-il.
In
via Etrusca vetere, a.d. III Id. Mart., secunda vigilia
Ancienne
voie étrusque, 13 mars, deuxième tour de garde,
onze
heures du soir
Pendu par une main au tronc d’un prunier, Publius Sextius
essayait en vain de s’agripper à une saillie de la roche. Il sentait son sang
couler d’une plaie superficielle mais extrêmement douloureuse le long du côté
gauche. Soudain il entendit son cheval souffler. Il approchait.
« Ici, mon beau, ici, viens… Allez, viens… »
L’animal parut le comprendre. Il pencha la tête au-dessus de
l’escarpement. Ses rênes vinrent frôler la main avec laquelle Publius se tenait
au prunier. Le centurion s’élança et s’y accrocha.
Effrayé, le cheval se cabra et entreprit de reculer, hissant
ainsi son maître sur le bord du rocher. Publius lâcha prise immédiatement.
Il s’employa à bander du mieux possible la blessure qu’il
s’était faite en tombant, puis attendit que sa monture se calme et le rejoigne,
attirée par sa voix et par la touffe d’herbe fraîche qu’il lui tendait. Une
fois l’animal à sa portée, Publius bondit dessus et poursuivit sa route.
Tout en avançant à vive allure à la lumière de la lune, il
repensait à l’étrange coïncidence qui aurait pu lui coûter la vie. Par quel
mystère ces quatre individus l’attendaient-ils à la mansio comme s’il
leur y avait donné rendez-vous ? Il avait reconnu l’homme à la face de
fouine, entrevu quelques jours plus tôt à un relais sur la via Aemilia. Pour le
précéder ainsi, l’homme devait être sûr de son fait.
Il n’y avait qu’une explication. Un rictus de satisfaction
se peignit sur le visage du centurion, ravi d’avoir résolu une énigme. L’arme
qu’on avait utilisée contre lui – l’itinéraire de Nebula – se
retournerait contre ses ennemis. De même que Mustela savait où le trouver, de
même Publius Sextius savait où surprendre son adversaire.
La route s’élargit et la végétation s’éclaircit : les
arbres à feuilles caduques qui l’emportaient maintenant sur les conifères
laissaient passer la clarté de la lune.
Quelle distance le séparait de son but ? Publius
Sextius aurait aimé voler, malgré sa fatigue croissante. Il aurait
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