Les Derniers Jours de Pompéi
caractère… les meilleurs cuisiniers de la ville… on a bien du mal à les avoir… si ce n’avait été en ma considération…
– En ta considération ! malheureux Congrio, interrompit Diomède ; et par quel argent dérobé, par quelle fraude sur les choses achetées au marché, par quelle bonne viande convertie en graisse que tu vendras dans les faubourgs, par quel compte de bronze bossué et de pots cassés, les payeras-tu pour te rendre service à toi ?…
– Ah ! maître, n’attaquez pas ma probité… puissent les dieux m’abandonner si…
– Ne jure pas, interrompit de nouveau Diomède, toujours furieux, car les dieux se hâteraient de punir un parjure, et je perdrais mon cuisinier, au moment d’un dîner. Mais cela suffit pour l’heure ; veille attentivement sur ces aides de malheur, et fais attention à ne pas venir me rompre la tête demain matin de vases brisés, de coupes disparues d’une manière miraculeuse ou ton dos ne sera plus qu’une plaie. Écoute-moi bien : tu sais que tu m’as fait payer ces attagens de Phrygie {58} assez cher, par Hercule ! pour nourrir un honnête homme pendant un an ; prends garde à ce que la chair n’en soit pas brûlée d’un iota. La dernière fois, Congrio, que j’ai réuni mes amis, ta vanité s’était flattée de faire rôtir à point une grue de Mélas… tu sais qu’elle arriva sur la table comme une pierre de l’Etna, comme si tous les feux du Phlégéthon avaient desséché son jus. Sois modeste, cette fois, Congrio, modeste et prudent ; la modestie est la mère des grandes actions ; et en toutes circonstances, non moins que dans celle-ci, si tu n’épargnes pas la bourse de ton maître, songe au moins à sa gloire.
– On n’aura pas vu un tel repas à Pompéi depuis l’époque d’Hercule.
– Doucement, doucement, encore ton orgueil !… Mais, réponds, Congrio, qu’est-ce que c’est que cet homunculus, ce pygmée qui se moque de ma vaisselle, cet impertinent néophyte en cuisine, qui ose insulter mes moules à confitures ?… Je ne voudrais pas passer pour un homme qui n’entend rien à la mode…
– C’est un usage entre cuisiniers, répondit gravement Congrio, de ravaler les ustensiles, pour faire plus d’honneur à notre art. Ce moule à confitures est un beau et gracieux moule ; mais à la première occasion, maître, je vous recommande d’en acheter de nouveaux d’un…
– Cela suffit, répliqua Diomède, qui paraissait décidé à ne jamais souffrir que son esclave achevât ses phrases… Va, reprends tes fonctions… brille… surpasse-toi… qu’on envie à Diomède son cuisinier, que les esclaves de Pompéi te surnomment Congrio le grand, va… Attends un peu… tu n’as pas dépensé tout l’argent que je t’ai donné pour le marché ?
– Tout l’argent ! hélas ! les langues de rossignols et les tomacula {59} de Rome, et les huîtres de Bretagne, et une quantité d’autres choses trop nombreuses pour vous les citer, attendent encore leur payement. Mais n’importe, on a confiance dans l’archimagirus {60} du riche Diomède.
– Oh ! prodigue en délire… quelle extravagance ! quelle profusion ! je suis ruiné… mais, va… hâte-toi… inspecte, goûte… achève… encore une fois, surpasse-toi… que le sénateur romain ne méprise pas le pauvre Pompéien… À l’œuvre, esclave, et souviens-toi des attagens de Phrygie. »
Le chef rentra dans son domaine naturel, et Diomède porta ses pas majestueux dans les appartements où sa compagnie devait se réunir. Il trouva tout à son gré ; les fleurs étaient fraîches, les fontaines lançaient brillamment leurs jets d’eau, les pavés de mosaïque étaient éclatants comme des miroirs.
« Où est ma fille Julia ? demanda-t-il.
– Au bain.
– Ah ! cela me fait souvenir, qu’il est grand temps… Je dois aussi aller au bain. »
Notre récit nous ramène vers Apaecidès. En se réveillant, ce jour-là, du sommeil fiévreux et fréquemment interrompu qui avait suivi son adoption dans une foi si différente de celle dans laquelle il avait été élevé, le jeune prêtre pouvait à peine se figurer qu’il ne faisait pas encore un songe ; il avait traversé la fatale rivière… le passé et l’avenir n’avaient plus rien de commun… les deux mondes… ce qui avait été, et ce qui devait être, se montrèrent distincts et séparés à jamais… À quelle hardie et aventureuse entreprise n’avait-il pas dévoué sa
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