Les Derniers Jours de Pompéi
héros pleure moins sur l’adversité de son ennemi que sur la fierté avec laquelle il la supporte. Nous sommes tous des hommes, et Arbacès, si criminel qu’il fût, avait sa part des sentiments de l’humanité. S’il avait pu obtenir de Glaucus la confession écrite du crime qu’on lui imputait, confession qui l’aurait perdu aux yeux d’Ione plus que le jugement des autres, et aurait éloigné du vrai coupable tout risque d’être découvert, l’Égyptien eût fait tout au monde pour sauver son rival ; maintenant même sa haine était passée ; son désir de vengeance était apaisé ; il foulait aux pieds sa victime, non comme un ennemi, mais comme un obstacle à son bonheur. Il ne s’en montra pas moins résolu, pas moins rusé ni moins persévérant dans la volonté de détruire un homme dont la perte était nécessaire à ses desseins. Tandis qu’il mettait une répugnance et une compassion apparentes à rendre témoignage contre Glaucus, il fomentait secrètement, à l’aide des prêtres d’Isis, une indignation populaire assez forte pour empêcher la clémence du sénat. Il avait vu Julia ; il lui avait appris les détails qu’il tenait de Nydia ; il avait facilement, par conséquent, endormi les scrupules de conscience qui auraient pu la conduire à atténuer le crime de Glaucus, en avouant la part qu’elle croyait avoir à son délire ; il y avait d’autant mieux réussi que cette beauté vaine aimait plus la renommée, la prospérité de Glaucus, que Glaucus lui-même ; elle ne ressentait plus d’affection pour un homme tombé dans une telle disgrâce ; elle se réjouissait presque d’un malheur qui humiliait Ione, objet constant de sa haine. Si Glaucus ne pouvait être son esclave, il ne serait pas du moins l’adorateur de sa rivale. C’était une consolation suffisante pour tous les regrets que son sort pouvait lui inspirer. Légère et inconstante, elle commençait à se sentir flattée de la cour empressée de Claudius ; elle n’était pas femme à hasarder la perte d’une alliance avec ce patricien, vil de caractère, mais illustre par sa naissance, en exposant devant le public sa faiblesse et l’égarement de sa passion pour un autre. Tout souriait donc à Arbacès ; tout était menaçant pour l’Athénien.
Chapitre 11
Nydia joue le personnage de sorcière
Lorsque la Thessalienne s’aperçut qu’Arbacès ne revenait pas auprès d’elle, lorsqu’elle eut été livrée heure par heure à la torture de cette cruelle attente que sa cécité lui rendait encore plus intolérable, elle commença à étendre les bras afin de découvrir s’il n’y avait point d’issue à sa prison, et, quand elle eut senti qu’il n’y avait qu’une porte et qu’elle était fermée, elle se mit à pousser des cris avec toute la véhémence d’un caractère naturellement violent, qu’irritait encore l’angoisse de l’impatience.
« Holà ! jeune fille, dit l’esclave chargé de veiller sur elle en ouvrant la porte, as-tu donc été mordue par un scorpion ? ou penses-tu que le silence nous ferait mourir ici, et que, comme Jupiter enfant, nous avons besoin d’être sauvés par un épouvantable charivari ?
– Où est ton maître ? et pourquoi suis-je enfermée ici comme dans une cage ? Il me faut l’air, la liberté… Laisse-moi sortir.
– Hélas ! pauvre petite… ne connais-tu pas assez Arbacès pour savoir que sa volonté vaut un arrêt de l’empereur ? Il a ordonné que l’on te mît en cage ; tu es en cage, et je suis ton gardien. Il ne faut plus penser à l’air, à la liberté !… Mais tu auras à ta discrétion, ce qui vaut bien mieux… du pain et du vin.
– Ô Jupiter ! s’écria la jeune fille en joignant les mains, pourquoi suis-je emprisonnée ainsi ? Qu’est-ce que le grand Arbacès peut vouloir d’une pauvre créature comme moi ?
– Je n’en sais rien ; à moins que ce ne soit pour servir de compagnie à ta nouvelle maîtresse, qui a été amenée ici ce matin.
– Quoi ! Ione est ici ?
– Oui, la pauvre dame ; ce n’est pas de son gré, je présume ; cependant, par le temple de Castor ! Arbacès se montre galant vis-à-vis des femmes… Ta maîtresse est sa pupille, tu le sais.
– Peux-tu me conduire vers elle ?
– Elle est malade de fureur et de dépit… D’ailleurs, je n’ai pas d’ordres à ce sujet {80} ; et je ne prends jamais rien sur moi. Lorsque Arbacès m’a constitué gardien de cette
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