Les Derniers Jours de Pompéi
très fort, et je devinais d’après cela que quelque heureuse chance allait m’arriver… Les dieux m’envoient Calénus.
– Passons-nous dans votre chambre, Arbacès ?
– Comme vous voudrez ; mais la nuit est parfaitement sereine ; ma dernière indisposition m’a laissé un peu de langueur ; l’air me rafraîchit… faisons un tour dans le jardin ; nous y serons également seuls.
– De tout mon cœur », répondit le prêtre ; et les deux amis se dirigèrent vers une des terrasses qui, bordées de vases de marbre et de fleurs assoupies, coupaient çà et là le jardin.
« Quelle délicieuse nuit ! dit Arbacès ; bleue et magnifique, comme celle où, il y a vingt ans, j’abordai pour la première fois sur les rivages de l’Italie. Mon cher Calénus, l’âge nous pousse ; rappelons-nous du moins que nous avons vécu.
– Quant à vous, vous pouvez vous en vanter », dit Calénus, qui cherchait une occasion de communiquer le secret dont il était oppressé, et qui sentait la crainte respectueuse que lui inspirait Arbacès augmentée encore par le ton calme et la noble familiarité de l’Égyptien : « oui, vous pouvez vous en vanter ; vous possédez des richesses immenses, une constitution dont les fibres résistent à la maladie ; vous avez à votre disposition les prospérités de l’amour, toutes les fantaisies du plaisir, et, dans ce moment même, les joies de la vengeance.
– Vous faites allusion à l’Athénien ; le jour de demain éclairera son arrêt. Le sénat ne s’adoucit pas. Mais vous vous trompez. Sa perte ne me cause pas d’autre satisfaction que de me délivrer d’un rival près d’Ione. Je n’ai aucun sentiment d’animosité contre ce malheureux homicide.
– Homicide ! » reprit Calénus, lentement et avec intention ; et, s’interrompant, il fixa ses yeux sur Arbacès. Les étoiles illuminaient la figure pâle, quoique tranquille, de leur prophète ; aucune altération n’y parut ; les yeux de Calénus furent désappointés et se baissèrent. Il continua rapidement :
« Homicide ! que vous l’accusiez, à la bonne heure, mais personne ne peut savoir mieux que vous qu’il est innocent.
– Expliquez-vous », dit Arbacès froidement ; car il s’était préparé à la déclaration qu’il redoutait.
« Arbacès, répondit Calénus d’une voix à peine distincte, j’étais dans le bosquet sacré, caché par la chapelle et par le feuillage des arbres ; j’ai vu, j’ai entendu tout ce qui s’est passé ! Je ne blâme point l’action ; elle a détruit un ennemi, un apostat…
– Vous savez tout ? reprit Arbacès sans s’émouvoir ; je le pensais ; vous étiez seul ?
– Seul, répliqua Calénus, surpris de la tranquillité de l’Égyptien.
– Et pourquoi vous étiez-vous caché derrière la chapelle à cette heure ?
– Parce que, j’avais appris la conversion d’Apaecidès à la foi chrétienne… parce que je savais qu’il devait rencontrer dans ce lieu le farouche Olynthus… parce qu’ils se proposaient de discuter ensemble les moyens de dévoiler au peuple les mystères sacrés de notre déesse, et que j’avais intérêt à découvrir leurs projets afin de les combattre.
– Avez-vous dit à quelque oreille vivante ce que vous avez vu ?
– Non, mon maître ; le secret est resté dans le sein de votre serviteur.
– Quoi ! le cousin Burbo ne s’en doute même pas ? Est-ce la vérité ?
– Par les dieux !
– Paix ! nous nous connaissons. À quoi bon parler des dieux entre nous ?
– Par la crainte de votre vengeance, alors !
– Et pourquoi m’avoir jusqu’à ce moment caché ce secret ? Pourquoi avoir attendu la veille de la condamnation de l’Athénien pour oser me dire qu’Arbacès est un meurtrier ? Enfin, après avoir tardé si longtemps, pourquoi me faire à présent cette révélation ?
– Parce que, parce que…, murmura Calénus, le visage rouge de confusion.
– Parce que, interrompit Arbacès en souriant et en donnant un petit coup sur l’épaule du prêtre d’une façon amicale, parce que, Calénus (vous allez voir comme je sais lire dans votre cœur et en expliquer les pensées), parce que vous vouliez me laisser engager dans le procès de manière que je ne pusse revenir sur mes pas ; vous vouliez que j’eusse donné des gages au parjure, ainsi qu’à l’homicide ; vous attendiez que j’eusse excité la soif du sang dans la populace, de façon que mes richesses ni
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