Les Derniers Jours de Pompéi
mon crédit ne pussent m’empêcher de devenir sa victime ; vous me faites cette révélation maintenant, avant que le procès soit terminé et que l’ennemi soit condamné, pour me faire bien comprendre qu’un seul mot de vous, demain, pourrait renverser le projet le mieux ourdi ; vous prétendez enchérir le prix de votre silence dans ce fatal moment ; vous tenez à me montrer que les artifices dont je me suis servi pour éveiller la colère du peuple retomberaient sur moi, et que les dents du lion sont là pour me dévorer à la place de Glaucus. N’est-ce pas cela ?
– Arbacès, reprit Calénus en oubliant la vulgaire audace de son caractère naturel, vous êtes vraiment un grand magicien ; vous lisez dans le cœur comme dans un papyrus.
– C’est ma vocation, reprit l’Égyptien en riant. Eh bien, gardez-moi le secret ; quand tout sera terminé, je vous enrichirai.
– Pardonnez-moi, dit le prêtre, dont l’avarice, sa passion dominante, ne se contentait pas des chances d’une générosité future ; pardonnez-moi, vous avez raison, nous nous connaissons l’un et l’autre. Si vous voulez que je garde le silence, donnez-moi d’abord quelques arrhes, comme une offrande à Harpocrate. Pour que la rose, doux emblème de la discrétion, prenne de vigoureuses racines, arrosez-la ce soir d’un flot d’or.
– Prudence et poésie, dit Arbacès d’une voix toujours douce et encourageante, qui aurait dû alarmer davantage son avide compagnon ; ne pouvez-vous attendre jusqu’à demain ?
– Pourquoi ce délai ? Peut-être, lorsque je ne pourrais plus apporter sans honte mon témoignage, après la condamnation de l’innocent, vous négligeriez ma demande ; votre hésitation, à cette heure, n’est pas de bon augure pour l’avenir.
– Eh bien, Calénus, à quel prix mettez-vous votre silence ?
– Votre vie est bien précieuse, et votre fortune est considérable, reprit le prêtre.
– De mieux en mieux ! Que de sagesse et d’esprit ! Mais parlons clairement. Quelle somme demandez-vous ?
– Arbacès, j’ai entendu dire que, dans votre trésor secret, sous les voûtes qui soutiennent votre superbe demeure, vous conservez des piles d’or, de vases et de joyaux, qui auraient pu rivaliser avec les richesses enfouies par le divin Néron : vous pouvez aisément distraire de cet amas de quoi rendre Calénus le plus opulent des prêtres de Pompéi, sans vous apercevoir même de votre sacrifice.
– Venez donc, Calénus, reprit Arbacès d’un air franc et généreux. Vous êtes un ancien ami : vous avez été un fidèle serviteur ; vous ne pouvez avoir le désir de m’ôter la vie, ni moi celui de vous marchander la récompense qui vous est due ; votre vue sera réjouie de l’aspect de cet or infini et de l’éclat de ces bijoux, et vous emporterez, cette nuit même, comme marque de ma gratitude, tout ce que vous pourrez cacher sous votre robe. Quand vous aurez contemplé tout ce que votre ami possède, vous comprendrez que ce serait folie de faire injure à un homme qui peut tant donner. Après l’exécution de Glaucus, je vous conduirai une autre fois encore à mon trésor. Est-ce parler franchement et en ami ?
– Ô le plus grand, le meilleur des hommes ! s’écria Calénus, pleurant presque de joie, pourrez-vous oublier jamais les soupçons que j’avais formés sur votre justice, votre générosité ?
– Silence ; un tour encore, et nous voilà descendus sous les voûtes. »
Chapitre 13
L’esclave consulte l’oracle. – Un aveugle peut tromper ceux qui s’aveuglent eux-mêmes. – Deux nouveaux prisonniers faits dans la même nuit
Nydia attendait avec impatience l’arrivée de Sosie, non moins impatient qu’elle. Après avoir fortifié son courage par d’abondantes libations d’un meilleur vin que celui qu’il avait offert au démon, le crédule esclave entra dans la chambre de la jeune aveugle.
« Eh bien, Sosie ; es-tu préparé ? as-tu apporté le vase d’eau pure ?
– Assurément, mais je tremble un peu. Tu es bien sûre que je ne verrai pas le démon ? J’ai toujours entendu dire que ces personnages-là n’étaient ni très beaux ni très polis.
– Ne crains rien. As-tu laissé la porte du jardin entrouverte ?
– Oui, et j’ai placé auprès des noix, des pommes, et une petite table.
– C’est parfait. Et la porte est ouverte actuellement, de manière que le démon puisse passer librement ?
– Oui, certes.
–
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