Les Derniers Jours de Pompéi
prières… bagatelles ! les temps ne sont plus où les dieux dérobaient les hommes dans un nuage. Ah ! Jupiter ! quel coup… ton côté… ton côté… prends garde à ton côté, Lydon ! »
Une crainte convulsive avait fait frémir l’assemblée. Un terrible coup d’Eumolpus, porté sur la tête de Lydon, l’avait fait tomber sur le genou.
« Habet, cria une petite voix de femme, il en a. »
C’était la voix de la jeune fille qui avait désiré si vivement qu’on trouvât des criminels pour les bêtes.
« Silence, dit la femme de Pansa avec autorité, non habet !…, il n’est pas blessé.
– Je voudrais qu’il le fût, s’écria la jeune fille, quand ce ne serait que pour causer de la peine à ce vieux grognon de Médon. »
Pendant ce temps-là, Lydon, qui s’était défendu jusqu’alors avec autant d’habileté que de valeur, commença à reculer devant les vigoureuses attaques du Romain expérimenté ; son bras était fatigué, ses yeux étaient obscurcis, il respirait avec peine. Les combattants s’arrêtèrent pour reprendre haleine.
« Jeune homme, dit Eumolpus à voix basse, cède… je te blesserai légèrement, tu baisseras les bras… tu as acquis la sympathie de l’editor et du peuple, tu seras honorablement sauvé.
– Et mon père restera esclave ? murmura Lydon. Non, la mort ou sa liberté. »
À cette pensée, et voyant que ses forces n’égaleraient pas la persévérance du Romain, et que la victoire dépendait pour lui d’un effort soudain et désespéré, il s’élança sur Eumolpus… Le Romain rompit aussitôt… Lydon essaya une nouvelle attaque… Eumolpus se jeta de côté… l’épée n’atteignit que la cuirasse… la poitrine de Lydon se trouva exposée. Le Romain plongea dans le défaut de la cuirasse, sans avoir néanmoins le dessein de porter une blessure mortelle. Lydon, faible et épuisé, tomba en avant, sur la pointe même de son adversaire, et fut percé d’outre en outre. Eumolpus retira la lame ; Lydon tâcha de regagner son équilibre… Son épée tomba de sa main, qui, désarmée, alla frapper seule son adversaire, et il roula sur l’arène… L’editor et l’assemblée, d’un commun accord, firent le signal de grâce ; les employés de l’amphithéâtre s’approchèrent ; ils ôtèrent le casque du vaincu, il respirait encore ; ses yeux étaient fixés d’un air farouche sur son ennemi ; la férocité qu’il avait puisée dans sa profession était empreinte sur son front déjà obscurci par les ombres de la mort. Alors, avec un soupir convulsif, et en essayant de se relever, il tourna les yeux vers les hauts gradins ; ils ne s’arrêtèrent pas sur l’editor ni sur les juges bienveillants, il ne les voyait pas. Tout cet immense amphithéâtre semblait vide pour lui. Il ne reconnut qu’une figure pâle et pleine de douleur. Le cri d’un cœur brisé, au milieu des applaudissements de la populace, fut tout ce qu’on entendit. L’expression féroce de sa physionomie s’effaça ; une expression plus douce de tendresse filiale et désespérée se peignit sur ses beaux traits, puis s’évanouit. Sa figure reprit un air farouche, ses membres se roidirent ; il retomba à terre.
« Qu’on prenne soin de lui, dit l’édile ; il a fait son devoir. »
Les employés le portèrent au spoliarium.
« Un vrai type de la gloire et de ce qu’elle vaut », murmura Arbacès en lui-même, et son œil, parcourant l’amphithéâtre, révélait tant de dédain et de mépris, que toutes les personnes qui rencontraient ses regards éprouvaient une étrange émotion : leur respiration se suspendait ; leur sang se glaçait d’effroi et de respect.
Des parfums délicieux furent répandus dans l’arène ; les employés renouvelèrent le sable.
« Qu’on introduise le lion et Glaucus l’Athénien », dit l’editor.
Un silence profond, indiquant la puissance où l’intérêt était parvenu, une terreur intense (et cela est étrange à dire, mais elle n’était pas dépourvue de charmes), régnèrent dans l’assemblée, qui semblait sous l’empire d’un rêve terrible.
Chapitre 3
Salluste et la lettre de Nydia
Salluste s’était réveillé trois fois dans son sommeil du matin, et trois fois, en se rappelant que son ami devait mourir ce jour-là, il avait soupiré profondément, et s’était retourné sur son lit, pour tâcher de retrouver un court oubli. Son seul but dans la vie était d’éviter
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