Les Derniers Jours de Pompéi
le chagrin et, lorsqu’il ne pouvait pas l’éviter, de l’oublier au moins.
Enfin, ne pouvant plus endormir sa peine, il se souleva sur sa couche, et aperçut son affranchi favori, assis à côté de lui, comme d’habitude ; car Salluste, qui, comme je l’ai dit, avait le goût des belles-lettres, ainsi que les personnes distinguées, se faisait faire des lectures le matin avant de se lever.
« Pas de livres aujourd’hui, dit-il, pas même Tibulle ! pas de Pindare pour moi. Pindare ! hélas, hélas ! son nom me rappelle ces jeux qu’il a chantés, et dont notre amphithéâtre a stupidement accepté l’héritage… L’amphithéâtre est-il ouvert, les jeux ont-ils commencé ?
– Depuis longtemps, Salluste. N’avez-vous pas entendu les trompettes, et le bruit de la foule qui se rendait au Cirque ?
– Si, si ; mais, grâce aux dieux, j’étais assoupi, et je n’ai eu besoin que de me retourner pour me rendormir.
– Les gladiateurs combattent sans doute depuis longtemps ?
– Les malheureux ! pas un de mes gens n’est allé à ce spectacle ?
– Non assurément, vos ordres étaient trop sévères.
– C’est bien ; que ce jour n’est-il passé ! Quelle lettre est sur cette table ?
– Cette lettre… ah ! celle qu’on vous a apportée hier, lorsque vous étiez trop… trop…
– Trop ivre pour la lire, je suppose. N’importe, elle ne doit pas être d’une grande importance.
– L’ouvrirai-je, Salluste ?
– Ouvre ! ne fût-ce que pour détourner le cours de mes pensées… Pauvre Glaucus ! »
L’affranchi ouvrit la lettre. « Quoi ! du grec ! dit-il… C’est une dame instruite… je suppose. » Il parcourut la lettre, et pendant quelques instants ne déchiffra pas aisément les lignes irrégulières tracées par la jeune aveugle ; tout à coup sa physionomie prit une expression d’émotion et de surprise.
« Grands dieux, noble Salluste ! Qu’avons-nous fait en ne donnant pas tout de suite notre attention à cette lettre ! Écoutez ce qu’elle vous apprend.
« Nydia l’esclave, à Salluste, l’ami de Glaucus :
Je suis prisonnière dans la maison d’Arbacès. Hâte-toi d’aller trouver le préteur, fais-moi délivrer ; et nous sauverons Glaucus du lion… Il y a dans ces murs un autre prisonnier dont le témoignage peut décharger l’Athénien de l’accusation portée contre lui. Quelqu’un qui a vu le crime… qui peut prouver que le criminel est un misérable qu’on n’a pas soupçonné jusqu’à ce jour. Va, hâte-toi, hâte-toi… de la promptitude… Amenez avec vous des hommes armés, de crainte qu’on ne fasse résistance… ainsi qu’un serrurier habile et vigoureux, car le cachot de mon compagnon d’infortune est fort et difficile à enfoncer… Oh ! par ma main droite et par les cendres de mon père, qu’il n’y ait pas un moment de perdu ! »
– Grand Jupiter ! s’écria Salluste en sautant en bas de sa couche, en ce jour-ci, à cette heure, peut-être, Glaucus meurt, que faire ? Courons chez le préteur !
– Non, ce n’est pas cela. Le préteur, aussi bien que Pansa, l’editor lui-même, sont les créatures de la populace ; et la populace ne voudra pas entendre parler de délai, elle ne voudra pas que son attente soit suspendue sur une vague dénonciation. D’ailleurs, la publicité de cette déclaration mettrait l’Égyptien sur ses gardes. Il a évidemment quelque intérêt dans ce mystère. Non, nous avons autre chose à faire : par bonheur, tes esclaves sont tous à la maison.
– Je comprends ta pensée, interrompit Salluste ; que mes esclaves s’arment sur-le-champ. Les rues sont vides. Nous allons nous rendre nous-mêmes à la maison d’Arbacès et délivrer les prisonniers. Vite ! Vite ! holà ! Davus ! ma robe, mes sandales… Du papyrus, un roseau {89} , je veux écrire au préteur pour le prier de suspendre, pendant une heure seulement, l’exécution de Glaucus ; que je me fais fort de prouver son innocence. Oui, oui ; c’est cela. Oui, Davus, cours trouver le préteur à l’amphithéâtre… Que ce billet soit remis dans ses propres mains… Maintenant, ô dieux ! vous que la providence épicurienne renie, secourez-moi, et j’appellerai Épicure un menteur ! »
Chapitre 4
Encore l’amphithéâtre
Glaucus et Olynthus avaient été placés ensemble dans cette étroite et obscure cellule où les criminels de l’arène attendaient leur dernière et terrible lutte.
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