Les Derniers Jours de Pompéi
toute crainte elle-même, avait disparu. Une vive et fière rougeur couvrit la pâleur de ses traits. Il se redressa de toute la hauteur de sa noble taille. L’élasticité de ses membres, la grâce de sa personne, la sérénité de son front attentif, son air dédaigneux, l’âme indomptable qui respirait dans son attitude et dans le mouvement de ses lèvres, et les éclairs de ses yeux, attestaient la puissance de son courage ; tout se réunissait pour offrir en lui une incarnation vivante et corporelle de la valeur et du culte de ses aïeux : c’était à la fois un héros et un dieu !
Le murmure de haine et d’horreur pour son crime, qui s’était élevé à son entrée, expira dans un silence d’admiration involontaire et de compassion respectueuse ; avec un soupir prompt et convulsif, qui sortit comme d’un seul corps de cette masse animée, les spectateurs détournèrent leurs regards de l’Athénien pour les diriger sur un objet sombre et informe apporté dans le centre de l’arène. C’était la cage du lion.
« Par Vénus, qu’il fait chaud ! dit Fulvie : cependant il n’y a pas de soleil. Pourquoi ces imbéciles de matelots n’ont-ils pas pu fermer la tenture {90} ?
Le lion avait été privé de nourriture pendant vingt-deux heures, et l’animal avait toute la matinée témoigné un singulier malaise, une vague inquiétude, que son gardien attribuait aux angoisses de la faim. Mais son air annonçait plutôt la crainte que la rage. Ses rugissements étaient sinistres et plaintifs. Il penchait la tête, respirait à travers les barreaux, puis se couchait, se relevait, et poussait de nouveau des gémissements sauvages qui s’entendaient au loin. En ce moment, il demeurait au fond de sa cage, immobile et silencieux, les naseaux ouverts appuyés contre la grille, et, par sa pesante respiration, faisait voler çà et là le sable de l’arène.
Les lèvres de l’editor frissonnèrent et ses joues pâlirent. Il jetait les yeux autour de lui avec anxiété. Il hésitait : il attendait. Enfin, la foule se montra impatiente. Il se décida à donner le signal. Le gardien qui était devant la cage en ouvrit la porte avec précaution, et le lion sortit en poussant un rugissement qui indiquait sa joie de reconquérir sa liberté ! Le gardien se retira promptement à travers le passage grillé qui formait une des issues de l’arène, et laissa le roi des forêts avec sa proie. Glaucus avait ployé ses membres de manière à s’affermir de son mieux afin de soutenir le premier choc de l’animal, en tenant levée son arme, petite et brillante, dans la faible espérance qu’un coup bien appliqué (car il savait qu’il n’avait le temps que d’en donner un seul), pourrait pénétrer par l’œil dans le cerveau de son redoutable ennemi.
Mais, à la surprise inexprimable de tous, l’animal ne parut même pas se douter de la présence de son adversaire.
Au premier moment de sa délivrance, il s’arrêta brusquement dans l’arène, se souleva sur les pattes de derrière, aspira l’air avec des marques d’impatience, puis s’élança en avant, mais non pas sur l’Athénien. Il fit plusieurs fois en courant le tour de l’arène, secouant sa large tête de côté et d’autre, avec un regard inquiet et troublé, comme s’il eût cherché quelque issue pour s’échapper ; une ou deux fois il essaya de franchir le parapet qui le séparait de l’assemblée, et fit entendre en retombant, plutôt un hurlement de mauvaise humeur que son rugissement profond et royal. Il ne donnait aucun signe de faim ni de colère : sa queue balayait le sable, au lieu de s’ébattre le long de ses flancs, et son œil, quoiqu’il roulât quelquefois du côté de Glaucus, se détournait de lui aussitôt. Enfin, comme s’il était ennuyé de chercher vainement à s’échapper, il rentra avec un grognement plaintif dans sa cage et se recoucha.
La première surprise de l’assemblée avide, en voyant l’apathie du lion, se changea bientôt en ressentiment contre sa lâcheté ; et la pitié qui s’était déclarée un moment pour Glaucus devint un véritable dépit. Quel désappointement !
L’editor appela le gardien.
« Que veut dire ceci ? Prenez l’aiguillon, forcez-le de sortir, et puis fermez la porte de la cage. »
Alors que le gardien, avec quelque frayeur et plus d’étonnement encore, se disposait à obéir, on entendit un cri à l’une des entrées de l’arène ; il y eut une
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