Les Derniers Jours de Pompéi
plaines de l’Italie et fissent rentrer la civilisation dans la barbarie et dans les ténèbres) possédaient tous les arts de la sagesse et toutes les grâces de la vie intellectuelle. De l’Égypte sont sortis les rites et la grandeur de cette solennelle Caeré, dont les habitants enseignèrent à leurs vainqueurs romains tout ce qu’ils connaissent aujourd’hui de plus élevé comme religion, de plus sublime comme culte. Et de quelle façon, penses-tu, jeune homme, que cette redoutable Égypte, mère de nations sans nombre, soit parvenue à sa puissance et à la haute conception de la sagesse ? ce fut le résultat de sa profonde et sainte politique. Vos nations modernes doivent leur grandeur à l’Égypte ; l’Égypte doit sa grandeur à ses prêtres. Recueillis en eux-mêmes, ne briguant d’empire, que sur la plus noble partie de l’homme, sur son âme et sur sa foi, ces anciens ministres de Dieu étaient inspirés des plus grandes pensées, qui aient jamais exalté des mortels. Les révolutions des astres, les saisons de la terre, l’éternel cercle des destinées humaines leur offrirent une auguste allégorie : ils la rendirent palpable et visible aux yeux du vulgaire par des signes les dieux et les déesses ; et ce qui était en réalité gouvernement prit le nom de religion. Isis est une fable ; ne te scandalise pas ! car le type d’Isis représente en réalité un être immortel. Isis n’est rien ; la nature dont elle est le symbole est la mère de toutes choses. Sombre, ancienne, insondable, excepté pour un petit nombre d’initiés : « Aucun mortel ne m’a jamais ôté mon voile » dit cette Isis que tu adores ; mais pour les sages, ce voile a été soulevé ; nous nous sommes tenus face à face devant la solennelle beauté de la nature. Les prêtres ont donc été les bienfaiteurs, les civilisateurs de l’humanité, quoiqu’ils fussent en même temps des imposteurs, si tu veux les appeler ainsi. Mais crois-tu, jeune homme, que s’ils n’avaient pas trompé les hommes, ils eussent pu les servir ? La foule ignorante et servile a besoin d’un bandeau pour être conduite à son propre bonheur. On ne brise pas une maxime, on révère un oracle. L’empereur de Rome étend sa domination sur diverses tribus de la terre et met de l’harmonie entre ces éléments contraires et désunis : de là naissent la paix, l’ordre, la loi, les félicités de la vie. Crois-tu que ce soit l’homme, que ce soit l’empereur qui règne ainsi ? non : c’est la pompe, le respect, la majesté qui l’entourent… telles sont ses impostures, telle est sa magie. Nos oracles et nos divinations, nos rites et nos cérémonies ne sont que les moyens de notre souveraineté, les instruments de notre pouvoir : les uns et les autres mènent à la même fin au bien-être et à l’harmonie de l’humanité. Tu m’écoutes avec plus d’attention et d’ardeur… la lumière se fait dans ton esprit. »
Apaecidès demeurait silencieux ; mais les rapides émotions, dont on pouvait saisir le passage sur sa figure expressive trahissaient l’effet des paroles de l’Égyptien, paroles rendues plus éloquentes encore par l’aspect et les gestes du personnage.
« Ainsi donc, continua Arbacès, pendant que nos prêtres du Nil établissaient les premiers éléments au moyen desquels le chaos est détruit, à savoir l’obéissance respectueuse de la multitude au petit nombre, ils tiraient de leurs majestueuses et célestes méditations, cette sagesse qui n’était plus une imposture. Ils inventaient les codes et la régularité des lois, les arts et les gloires de l’existence ; ils demandaient la foi, ils donnaient en retour les bienfaits de la civilisation : leur tromperie n’était-ce pas de la vertu ? Crois-moi, tout être d’une nature bienfaisante, d’une essence plus éthérée, qui regarde du haut des cieux notre monde, sourit avec sympathie à la sagesse qui a produit de pareils résultats. Mais tu sembles désirer que j’applique ces généralités à toi-même : j’obéis volontiers à tes désirs. Les autels de la déesse de notre ancienne foi doivent être desservis et doivent l’être par ces individus sans intelligence et sans âme, qui ne sont pour ainsi dire que des clous et des crochets où se suspendent la robe et le bandeau. Rappelle-toi deux maximes de Sextius le pythagoricien, maximes empruntées à la science de l’Égypte. La première : « Ne parle pas de Dieu à
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