Les Derniers Jours de Pompéi
il aime les gens de mérite.
– Arbacès ! je le connais déjà. Nous nous parlons, du moins quand nous nous rencontrons. Mais sans votre éloge, je ne souhaiterais pas de le connaître davantage. Mon cœur est porté vers ceux qui me ressemblent ; mais ce sombre Égyptien, avec son front nuageux et son sourire glacé, me semble attrister le ciel même. On serait tenté de croire que, à l’instar du Crétois Épiménide, il a dormi quarante ans dans un caveau et que la lumière du jour lui a paru étrange à son réveil.
– Cependant, comme Épiménide, il est bon, sage et d’une humeur douce, répondit Ione.
– Qu’il est heureux d’être loué par vous ! Il n’a pas besoin d’autres vertus pour m’être cher.
– Son calme, sa froideur, reprit Ione sans répondre directement, proviennent peut-être de l’épuisement de ses anciennes souffrances ; de même que cette montagne voisine (elle montrait le Vésuve), qui aujourd’hui semble si tranquille, nourrissait autrefois des flammes éteintes pour toujours. »
Leurs yeux se dirigèrent vers la montagne au moment où Ione achevait de parler : le reste du ciel était baigné de couleurs tendres et rosées ; mais sur le sommet gris du volcan, au milieu des bois et des vignes qui l’entouraient jusqu’à la moitié de sa hauteur, s’élevait un gros nuage noir et de mauvais augure comme un trait sinistre dans ce beau paysage ; une ombre soudaine et indescriptible obscurcit leurs regards ; et par suite de cette sympathie que l’amour leur avait déjà enseignée et qui leur disait à la plus légère émotion, au moindre pressentiment de malheur, de chercher un refuge l’un près de l’autre, leurs yeux abandonnèrent en même temps la montagne et se rencontrèrent avec une inimaginable expression de tendresse. Qu’avaient-ils besoin de mots pour se dire qu’ils s’aimaient !
Chapitre 6
L’oiseleur reprend dans ses rets l’oiseau qui voulait s’échapper et essaye d’y prendre une autre victime.
Dans l’histoire que je raconte, les événements se pressent rapides comme les événements d’un drame. Je décris une époque dans laquelle il suffisait de quelques jours pour faire mûrir les fruits d’une année.
Arbacès avait peu fréquenté la maison d’Ione depuis quelque temps et lorsqu’il y était allé, il n’avait pas rencontré Glaucus ; il ignorait l’amour qui s’était si soudainement interposé entre lui et ses projets. Particulièrement occupé du frère d’Ione, il avait été momentanément forcé de suspendre ses visites à la sœur et d’ajourner ses desseins. Son orgueil et son égoïsme s’étaient réveillés tout à coup. Il s’alarmait du changement survenu dans l’esprit du jeune homme. Il tremblait à l’idée qu’il pouvait perdre un élève docile et Isis un serviteur enthousiaste. On trouvait rarement Apaecidès ; il évitait les lieux, où il aurait rencontré l’Égyptien ; il le fuyait même, lorsqu’il l’apercevait de loin. Arbacès était un de ces hautains et puissants esprits accoutumés à dominer les autres ; il s’indignait qu’une créature, qu’il avait regardée comme étant à lui, pût secouer son joug. Il se promit qu’Apaecidès ne lui échapperait pas.
Telle était sa pensée, pendant qu’il traversait un bosquet situé dans l’intérieur de la ville entre sa maison et la maison d’Ione, où il se rendait ; il aperçut, appuyé contre un arbre et regardant la foule, le jeune prêtre d’Isis qui ne le vit pas venir.
« Apaecidès ! » dit-il ; et il posa d’un air tout amical sa main sur l’épaule du jeune homme…
Le prêtre tressaillit ; son premier mouvement fut de s’enfuir.
« Mon fils, dit l’Égyptien, qu’est-il arrivé pour que vous paraissiez empressé d’éviter ma présence ? »
Apaecidès demeura silencieux et morne, les yeux attachés à la terre et les lèvres tremblantes, la poitrine oppressée d’une vive émotion.
« Parle-moi, mon ami, continua l’Égyptien, parle ; quelque fardeau pèse sur ton esprit ; qu’as-tu à me révéler ?
– À vous ? Rien.
– Et pourquoi m’exclure ainsi de tes confidences ?
– Parce que je vois en vous un ennemi.
– Expliquons-nous » dit Arbacès à voix basse ; et prenant le bras du prêtre sous le sien malgré, quelque résistance, il conduisit le jeune homme vers un des bancs qui garnissaient le bosquet. Ils s’assirent ; et leur contenance morne
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