Les Derniers Jours de Pompéi
avait rencontré pour la première fois celle qu’il aurait pu aimer. Il se trouvait, alors, à ce moment de la vie où l’homme aperçoit distinctement derrière lui sa jeunesse perdue, et devant lui les ténèbres de la vieillesse : moment qui ne manque jamais de nous inspirer le désir de nous assurer, avant qu’il soit trop tard, tout ce que nous avons cru nécessaire au bonheur d’une vie dont la partie la plus belle est déjà évanouie.
Arbacès, avec plus d’empressement et de patience qu’il n’en avait mis à aucun de ses plaisirs, s’était occupé à conquérir le cœur d’Ione. Il ne se contentait pas d’aimer, il désirait être aimé. Dans cette espérance, il avait surveillé la jeunesse exubérante de la belle Napolitaine. Connaissant toute l’influence que l’esprit possède sur ceux qui s’appliquaient à cultiver leur esprit, il avait volontiers contribué à former le génie et à éclairer l’intelligence d’Ione. Il se flattait qu’Ione n’en apprécierait que mieux les titres qu’il possédait à son affection. Il l’encourageait à s’entourer des êtres légers qui lui rendaient hommage, persuadé que son âme, faite pour des idées élevées, reviendrait s’attacher à lui en le comparant aux autres. Il avait oublié que, de même que l’héliotrope se tourne vers le soleil, la jeunesse se tourne vers la jeunesse, jusqu’à ce que la jalousie que lui inspira Glaucus lui eût appris son erreur. Depuis ce moment, quoiqu’il ne connût pas, comme nous l’avons vu, toute l’étendue du danger, sa passion, longtemps retenue, avait pris une direction plus impétueuse. Rien n’allume le feu de l’amour comme l’étincelle de la jalousie. Il se sentit embrasé d’une flamme irrésistible ; il cessa d’être tendre ; son amour prit quelque chose de l’intensité, de la férocité, de la haine.
Arbacès résolut donc de ne plus perdre de temps en préparations périlleuses et incertaines ; il voulut mettre entre lui et ses rivaux une infranchissable barrière. Il forma le dessein de posséder Ione à tout prix, quoique, dans l’état présent de son cœur, nourri longtemps des espérances d’une passion plus pure, il ne fût pas disposé à se contenter de sa possession seulement. Il convoitait le cœur, l’âme, non moins que la beauté d’Ione. Mais il se figura que, séparée violemment, par un crime hardi, du reste du genre humain, une fois attachée par un nœud qu’elle ne pourrait plus rompre, elle concentrerait en lui toutes ses pensées ; qu’il pouvait compter sur son adresse pour achever sa conquête ; et que, d’accord avec la morale des Romains vis-à-vis des Sabines, l’empire de la force se transformerait peu à peu en un empire plus doux. Cette résolution se trouvait encore confirmée par sa foi dans les astres ; ils lui prédisaient depuis longtemps, pour cette année, et pour le mois actuel, une catastrophe qui menacerait sa vie elle-même. Cette date certaine, inévitable, le forçait d’agir : il était donc décidé, comme un monarque, à entasser sur son bûcher tout ce que son âme avait de plus cher. Comme il le disait, s’il devait mourir, il voulait avoir vécu, et qu’Ione fût à lui.
Chapitre 9
Ce que devient Ione dans la maison d’Arbacès – premier signe de la rage du terrible Ennemi
Lorsque Ione entra dans la vaste salle de l’Égyptien, l’effroi qui avait agité le cœur de son frère s’empara du sien ; il lui sembla, comme à lui, qu’il y avait quelque chose de mauvais augure, et qui lui criait de prendre garde, dans les figures tristes de ces monstres thébains, dont le marbre rendait si bien les traits majestueux et sans passion :
Leurs yeux, des temps anciens exprimaient la pensée ;
L’éternité semblait en eux s’être fixée.
Le grand esclave éthiopien sourit en lui ouvrant la porte, et marcha devant elle pour la conduire. Elle était à peine au milieu de la salle, qu’Arbacès s’avança en habits de fête étincelant de pierreries. Quoiqu’il fit grand jour au dehors, la maison, selon la coutume des voluptueux, était plongée dans une demi-obscurité, et des lampes jetaient une lumière odorante sur les riches pavés et sur les plafonds d’ivoire.
« Belle Ione, dit Arbacès en s’inclinant pour toucher sa main, c’est vous qui avez éclipsé le jour ; ce sont vos yeux qui éclairent cette salle ; c’est votre haleine qui la remplit de parfums.
– Vous ne devriez
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