Les Derniers Jours de Pompéi
événement qui va se produire possède ses spectres… son ombre. Lorsque l’heure arrive, la vie entre en lui, l’ombre prend un corps et fait son apparition dans le monde… Ainsi dans la terre, par-delà le tombeau, existent comme deux armées impalpables et spirituelles, les choses qui doivent être, les choses qui ont été. Si par notre science nous pouvons pénétrer jusqu’à cette région, nous voyons l’une et l’autre armée, et nous apprenons, ainsi que je l’ai appris, non seulement les mystères de la mort, mais aussi les destinées des vivants.
– Comme vous l’avez appris !… La science peut-elle aller jusque-là ?
– Voulez-vous éprouver mon art, Ione, et assister à la représentation de ce qui doit vous arriver à vous-même ? C’est un drame plus intéressant que ceux d’Eschyle. Je l’ai préparé pour vous, si vous désirez voir ces ombres jouer leurs rôles… »
La Napolitaine trembla ; elle pensa à Glaucus, et soupira en frissonnant. Leurs destinées devaient-elles être unies ? Moitié incrédule et moitié convaincue, frappée pour ainsi dire de respect et d’effroi en écoutant son hôte étrange, elle resta un moment silencieuse, puis répondit :
« Cela peut révolter, cela peut terrifier. La connaissance de l’avenir doit, en tout cas, empoisonner le présent.
– Non, Ione ; j’ai moi-même jeté les yeux sur votre avenir, et les ombres qui représentent vos destinées habitent les jardins de l’Élysée. Au milieu des asphodèles et des roses, ils préparent pour votre front de douces guirlandes ; et le sort, si dur pour tant d’autres, ne vous tisse que des jours de bonheur et d’amour. Voulez-vous me suivre et voir ce qui vous est réservé, afin de jouir d’avance de votre félicité ? »
Le cœur d’Ione murmura de nouveau : Glaucus ! Elle laissa deviner un consentement presque imperceptible. L’Égyptien se leva en la prenant par la main, la conduisit à travers la salle du banquet : les rideaux s’ouvrirent comme par magie, et la musique fit entendre des sons plus joyeux et plus marqués. Ils passèrent entre des rangées de colonnes, aux deux côtés desquelles deux fontaines répandaient les eaux les plus parfumées. Ils descendirent dans le jardin par un large et facile escalier. La soirée commençait, la lune s’élevait déjà dans les cieux, et les douces fleurs qui dorment le jour et mêlent aux brises de la nuit d’ineffables odeurs, croissaient dans les allées ombreuses légèrement éclairées, ou bien, rassemblées en corbeilles, étaient placées, comme des offrandes, aux pieds des nombreuses statues qu’ils rencontraient à chaque pas.
« Où me conduisez-vous, Arbacès ? demanda Ione avec un peu d’étonnement.
– Ici près, répondit-il en désignant un petit édifice en perspective, à ce temple consacré aux Destinées… Nos rites exigent un terrain consacré. »
Ils entrèrent dans une étroite salle au bout de laquelle était suspendu un rideau noir. Arbacès l’écarta. Ione et lui se trouvèrent dans l’obscurité.
« Ne vous alarmez pas, dit l’Égyptien ; la lumière ne tardera pas à briller. »
Pendant qu’il parlait, une lueur douce, et qui communiquait une agréable chaleur, se répandit insensiblement autour d’eux. À mesure que chaque objet se détachait de l’obscurité, Ione s’apercevait qu’elle était dans un appartement de moyenne grandeur, et tendu de noir de tous les côtés. Des draperies de la même couleur recouvraient le lit préparé pour qu’on pût s’y asseoir. Au centre de la chambre se dressait un petit autel avec un trépied de bronze. D’un côté une haute colonne de granit était surmontée d’une tête colossale en marbre noir, dont la couronne d’épis de blé fit reconnaître à Ione la grande déesse égyptienne. Arbacès se tenait devant l’autel, sur lequel il avait déposé sa guirlande. Il semblait occupé à verser dans le trépied une liqueur renfermée dans un vase de cuivre. Tout à coup s’élança du trépied une flamme bleue, vive et irrégulière. L’Égyptien revint près d’Ione et prononça quelques paroles dans un langage étranger. Le rideau placé derrière l’autel s’agita confusément ; il s’ouvrit avec lenteur, et par cette ouverture Ione aperçut vaguement un paysage qui, à mesure qu’elle regardait, accusait des formes plus distinctes. Elle découvrit clairement des arbres, des rivières, des prairies, et la
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