Les Dieux S'amusent
son
trouble. Elle posa doucement sa main sur le bras tanné et rugueux d’Ulysse.
— Il ne faut pas, lui dit-elle, pleurer les malheurs
anciens avec des larmes nouvelles.
Ulysse s’essuya les yeux en souriant à Nausicaa. Il s’étonnait
en lui-même et admirait qu’un vieux guerrier endurci, recru d’épreuves, pût
encore recevoir une leçon de sagesse, de la bouche d’une jeune fille qui ne
savait rien de la vie.
Alcinoos, lui aussi, avait remarqué l’émotion d’Ulysse. Il
pria l’aède de cesser son chant et invita les convives à se retirer.
— Notre hôte doit être fatigué, observa-t-il ; il
doit prendre un peu de repos avant la journée de demain, où nous organiserons, en
son honneur, des compétitions sportives.
Pour la première fois depuis longtemps, Ulysse s’endormit, ce
soir-là, sur un matelas moelleux et dans des draps de lin.
La deuxième journée d’Ulysse chez les Phéaciens
Pendant la matinée du lendemain, les meilleurs athlètes
phéaciens s’affrontèrent, sous les yeux de la famille royale et d’Ulysse, dans
diverses épreuves sportives : lancer du poids, du disque, du javelot, lutte,
saut, course à pied. Alors que les épreuves s’achevaient et que les concurrents
s’apprêtaient à aller déjeuner au palais, le fils du roi, Laodamas, demanda à
Ulysse s’il ne souhaitait pas, lui aussi, concourir.
Ulysse commence par décliner l’invitation en arguant de son
âge, de son manque d’entraînement, de sa fatigue. L’un des jeunes gens du
groupe, un certain Euryale, qui avait gagné plusieurs épreuves, se permet alors,
au mépris des règles de la courtoisie, de se moquer d’Ulysse :
— Malgré tes cuisses robustes, tes larges épaules, tes
bras musclés, tu me sembles être de ceux qui se servent surtout de leur langue.
C’est dans les joutes oratoires que tu dois être un champion.
— Que veux-tu, lui répond Ulysse, on ne peut pas tout
avoir ; ainsi, toi, tu as la beauté et la force, mais tu n’as guère d’esprit.
Cependant, puisque tu me lances un défi, je lé relève : je suis prêt à t’affronter
cet après-midi dans l’épreuve de ton choix — sauf toutefois la course à
pied, où mon âge serait un trop grand handicap.
Euryale choisit la course de chars.
Pendant le déjeuner, Nausicaa apprend à Ulysse que la course
de chars est la spécialité d’Euryale ; il possède un char blanc ultra-léger.
Sa supériorité dans cette épreuve est si grande que, depuis longtemps, plus
personne n’ose se mesurer à lui.
« C’est fâcheux », songe Ulysse, qui ne brille pas
lui-même particulièrement dans cette discipline.
Après le déjeuner, tout le monde va faire la sieste, sauf
Ulysse qui se rend dans la remise où sont alignés les chars. Il n’a pas de mal
à reconnaître celui d’Euryale. Il retire la goupille de bronze qui fixait la
roue droite à l’essieu et la remplace par un bâton de cire. Puis il va prendre,
lui aussi, quelques instants de repos. Vers quatre heures, la course commence, en
présence d’une foule nombreuse. L’épreuve consiste à faire dix fois le tour d’une
piste cendrée. Dès le départ, Euryale prend l’avantage. Il ne tarde pas à avoir
un tour entier d’avance sur Ulysse., qu’il dépasse dans une ligne droite ;
Ulysse n’en paraît pas excessivement affecté et continue une course prudente. Au
moment où Euryale entame son cinquième tour, le bâton de cire qui maintenait sa
roue droite, échauffé par le soleil et les frottements, achève de fondre. La
roue se détache, le char verse, Euryale est projeté dans la poussière ; Ulysse,
ayant terminé tranquillement le parcours, est proclamé vainqueur.
Le comportement d’Ulysse, au cours de ses deux premières
journées chez Alcinoos, n’avait pas manqué d’éveiller la curiosité de ses hôtes.
À la fin du dîner qui suivit la course de chars, Alcinoos jugea que lés
convenances ne lui interdisaient plus de poser à Ulysse la question qui lui
brûlait les lèvres :
— Ta physionomie, ton allure, lui dit-il, ne sont pas
celles d’un homme ordinaire ; l’histoire de ta vie ne doit pas manquer d’intérêt.
Peut-être accepteras-tu de nous la raconter ?
Après un instant d’hésitation, Ulysse lui répondit :
— Puisque tu le souhaites, je vais satisfaire ta
curiosité.
Et, dans le silence qui s’était fait autour de la table, il
commença son récit par ces paroles célèbres et orgueilleuses qui
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