Les Dieux S'amusent
Calypso. Chaussant ses sandales ailées, Mercure se
rendit aussitôt chez la nymphe.
Après les salutations d’usage, il en vient rapidement au
fait :
— Jupiter te prie de laisser partir Ulysse, et de l’aider
à préparer son voyage. Et quand je dis qu’il te prie, c’est une façon de parler.
Il te l’ordonne.
Calypso doit s’incliner. Elle appelle Ulysse, qui était
assis tristement, comme d’habitude, sur son promontoire ; elle lui annonce
qu’elle l’autorise à retourner chez lui. Tout d’abord Ulysse, méfiant, se
refuse à la croire, soupçonnant un piège. Mais elle lui jure par le Styx qu’elle
dit la vérité. Elle l’engage à entreprendre, sans tarder, la construction d’un
navire. Non sans hypocrisie, Ulysse affecte alors d’éprouver des regrets.
— Mon plus cher désir, dit-il à Calypso, serait de
demeurer ici, car nulle mortelle, pas même Pénélope, ne peut se comparer à toi.
Mais je n’ai pas le droit de me dérober à mes obligations familiales et surtout
à mes devoirs envers mon fils Télémaque.
Après quoi, retrouvant d’un coup toute son énergie, Ulysse
se met au travail. Il abat quelques pins au tronc bien droit, les attache
solidement entre eux pour en faire un radeau, qu’il équipe d’un mât, d’une
dérive, d’un gouvernail rudimentaire. Son ardeur est telle qu’en trois jours
son travail est déjà bien avancé. Calypso fait alors une ultime tentative pour
le retenir : elle lui écrit une lettre, comme le font souvent les amants
désunis lorsqu’ils ne peuvent plus se parler sans se disputer. Dans cette
lettre poignante, qu’elle écrit en pleurant, elle rappelle à Ulysse les bons
moments qu’ils ont vécus ensemble ; elle lui jure qu’elle ne l’oubliera
jamais, mais qu’elle préfère souffrir elle-même toute sa vie que de le voir malheureux.
En écrivant ces nobles paroles, Calypso se croyait sincère. Mais, sans vouloir
se l’avouer, elle espérait secrètement qu’Ulysse, ému par la générosité dont
elle faisait preuve, sentirait renaître son amour pour elle. Malheureusement, dans
les lettres de ce genre, l’auteur est plus ému en les écrivant que le
destinataire en les lisant. Ulysse se contenta de la parcourir d’un regard
distrait.
Lorsque Calypso comprit que ses espérances secrètes étaient
vaines et que, bien loin de reconquérir son amant, elle n’avait fait que
soulager ses remords ; lorsqu’elle vit qu’Ulysse, accélérant ses
préparatifs, abandonnait ses mines contrites et cessait de dissimuler son
impatience de partir, une bouffée de fureur la submergea tout à coup. Elle n’eut
plus qu’une idée : se venger.
Deux jours après, Ulysse, ayant terminé son radeau et chargé
à son bord quelques provisions, prenait hâtivement congé de Calypso.
Quelques minutes plus tard, Calypso prenait son vol en
direction de l’Olympe, où elle pensait trouver Neptune.
41. Nausicaa
La tempête
Pendant dix-sept jours, un vent favorable poussa Ulysse vers
sa destination. D’après ses calculs, il ne lui restait plus alors que trois ou
quatre jours de navigation pour arriver à Ithaque. Pendant la même période, Calypso
attendait sur l’Olympe le retour de Neptune, toujours absent. Il revint enfin. Calypso
le mit aussitôt au courant du départ d’Ulysse.
— Si tu veux t’opposer à son retour, ajoute-t-elle, il
n’y a pas une minute à perdre.
Sans même prendre le temps de consulter Jupiter, Neptune
quitte précipitamment l’Olympe, repère la position d’Ulysse, frappe la mer de
son trident et déchaîne une formidable tempête. Le radeau d’Ulysse n’y résiste
pas longtemps. Il perd d’abord son mât, puis son gouvernail. Enfin, sous le choc
d’une vague énorme, les troncs assemblés commencent à se disloquer. Craignant d’être
écrasé par l’un d’eux, Ulysse retire ses vêtements et se jette à l’eau. Un
instant auparavant, alors qu’une lame immense soulevait son radeau, il a cru
apercevoir, dans le lointain, les contours d’une île. À la nage, il se dirige
vers elle.
Comme Guillaumet dans la cordillère des Andes, Ulysse fut
cent fois sur le point d’abandonner la lutte et de se laisser couler. Mais, chaque
fois, le souvenir d’Ithaque et de ceux qui l’y attendaient ranimait son énergie.
Il nagea ainsi deux jours et deux nuits, sans pouvoir prendre aucune nourriture
ni aucun repos. Comme l’Aurore aux doigts de rose se levait pour la troisième
fois, il vit enfin, tout
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