Les Dieux S'amusent
journée avant d’atteindre le sol. Un
bébé ordinaire n’eût pas survécu à une telle chute, mais Vulcain, étant
immortel, se contenta de se casser une jambe et de se démettre quelques
vertèbres. Déjà laid de visage, il devint en outre boiteux et bossu.
Chez les enfants maltraités par la nature, il arrive que la
laideur et les infirmités deviennent des stimulants, en les poussant à
rechercher la considération et l’amour dont ils ont besoin, par le travail et
la réussite sociale ; Napoléon ne serait jamais devenu « Napoléon le
Grand » s’il n’avait pas souffert, depuis son enfance, d’être petit. C’est
aussi ce qui se passa pour Vulcain. Au prix d’un labeur acharné, il devint un
ouvrier d’une extraordinaire habileté, particulièrement spécialisé dans le
travail des métaux : à la fois forgeron, serrurier, armurier, mécanicien
et ciseleur, il fut nommé par Jupiter dieu du feu et de l’industrie. Travaillant
sans cesse à sa forge, portant un marteau dans la main droite et une paire de
tenailles dans la main gauche, il avait le visage noirci de fumée et le corps
couvert de sueur [1] ,
ce qui le rendait plus repoussant encore. Aidé par une équipe d’ouvriers d’une
taille gigantesque, appelés les Cyclopes, qui avaient la particularité de n’avoir
qu’un œil au milieu du front, il était le fournisseur attitré de l’Olympe en
mobilier métallique, ferronnerie, armes et bijoux. Il fabriquait en particulier
les foudres de Jupiter.
S’il avait été un sage, Vulcain se serait sans doute
contenté des satisfactions et de la considération que lui procuraient ses
activités professionnelles. Mais, comme tous les hommes, il avait aussi besoin
d’amour. Et, comme tous les hommes laids, il n’aimait que les femmes belles. C’est
pourquoi, lorsqu’il décida de se marier, il se mit en tête, lui le dieu le plus
laid de l’Olympe, d’épouser la plus belle des déesses, Vénus, dont je vous
parlerai plus en détail dans un instant. Il alla donc trouver Jupiter et Junon,
ses parents, pour leur demander de lui accorder la main de Vénus.
Jupiter se fit d’abord tirer l’oreille, mais, comme Vulcain
le menaçait d’interrompre ses livraisons de foudre, il finit par donner son
accord. En revanche, Junon s’opposait inflexiblement au projet de son fils :
— Vénus est bien trop jolie pour toi, lui disait-elle ;
elle ne supportera jamais le bruit et l’odeur de ta forge ni la promiscuité de
tes Cyclopes ; elle ne tardera pas à te tromper, et tu seras le premier à
regretter ce mariage.
Ces arguments n’ébranlent pas Vulcain et, pour arracher le
consentement de sa mère, il a recours à un stratagème ingénieux. Il construit
un superbe fauteuil d’or, doté de ressorts invisibles et de serrures secrètes, et
en fait cadeau à Junon. Celle-ci, enchantée, s’y assoit, mais à peine y
a-t-elle posé son auguste derrière qu’elle s’aperçoit qu’elle ne peut plus en
sortir, paralysée qu’elle est par les mécanismes incorporés par Vulcain. Tous
les dieux de l’Olympe, ameutés par ses cris, ont beau la tirer, elle reste
prisonnière du fauteuil ensorcelé. Vulcain, triomphant, n’accepte de la libérer
qu’en échange de son consentement.
C’est ainsi que Vulcain épousa Vénus. Il n’allait pas tarder
à s’apercevoir que les pressentiments de sa mère étaient fondés et que, le jour
où il s’était marié, il aurait mieux fait de se casser sa seconde jambe.
7. Vénus, déesse de l’amour
Naissance et mariage de Vénus
Vénus était fille de Jupiter et n’avait pas de mère. Elle
était née, par la seule volonté de son père, de l’écume de l’Océan. Un beau
matin de printemps, alors que toutes les divinités de l’Olympe se bronzaient
sur la plage qui s’étendait au pied de la montagne sacrée, une conque marine, poussée
par les courants, l’avait déposée mollement sur le rivage. Elle était d’une
extraordinaire beauté, avec ses longs cheveux blonds, ses grands yeux bleus, sa
peau rose et ses dents éclatantes de blancheur. À la fois mince et potelée, elle
n’avait, pour tout vêtement, qu’une touche légère d’un parfum envoûtant. Elle
était accompagnée de son oiseau favori, une colombe.
Son arrivée provoqua presque une émeute chez les Immortels :
les dieux, négligeant leurs épouses, se disputaient l’honneur de lui faire
visiter l’Olympe, cependant que les déesses, pâles de
Weitere Kostenlose Bücher