Les Dieux S'amusent

les militaires, n’avait pas grand-chose à faire en temps
de paix et passait la journée avec elle. C’est pourquoi aucun des deux ne se
doutait qu’il avait un rival. Quant à Vulcain, surchargé de travail, il
ignorait tout ; il s’étonnait seulement de constater que, depuis quelque
temps, Vénus ne lui reprochât plus de trop travailler, et qu’elle l’accueillît
désormais chaque soir, à son retour tardif, avec amabilité et bonne humeur. Ce
ménage à quatre aurait pu durer très longtemps si, un jour, Mars ne s’était
assoupi auprès de Vénus et n’avait laissé passer l’heure à laquelle il devait
la quitter.
    Apollon, ayant terminé sa tournée céleste, range son char et
se rend discrètement à son rendez-vous quotidien. Lorsqu’il voit Vénus endormie
entre les bras de Mars, son sang ne fait pas dix tours, ni cinq, ni trois, ni
même deux : il n’en fait qu’un. Assoiffé de vengeance, Apollon court chez
Vulcain et lui annonce que sa femme le trompe avec Mars. Vulcain tresse
aussitôt un filet métallique à fines mailles, rentre en catimini à son palais
et jette sur Vénus et Mars, qui dormaient tout nus, le filet ensorcelé qui les
emprisonne. Puis il les traîne, dans cette humiliante position, jusqu’à l’Olympe
où il invite à grands cris les dieux à venir les contempler et les couvrir de
sarcasmes.
    Malgré les supplications de Vénus et les pleurs de Mars, Vulcain
se refusait obstinément à les libérer. Heureusement pour eux, une déesse aux
doigts agiles et à l’intelligence profonde, inventrice, entre autres choses, des
nœuds, eut pitié d’eux ; au prix de plusieurs heures de travail, elle
parvint à découvrir le secret du filet et à le défaire. Cette déesse, c’était
Minerve.

8. Minerve, déesse de l’intelligence

Naissance de Minerve
    Minerve, comme Vénus, était fille de Jupiter et n’avait pas
de mère. Elle était née dans des circonstances singulières. Un matin, en se
réveillant, Jupiter ressentit une atroce migraine. Il l’attribua tout d’abord
aux libations un peu excessives de nectar auxquelles il s’était livré la veille,
et crut pouvoir la guérir à l’aide d’une potion préparée par Apollon, dieu de
la médecine. Mais le remède s’avéra vain. Vers midi, sa douleur devenant
insupportable, Jupiter employa les grands moyens : il fit venir Vulcain et
lui ordonna de lui fendre le crâne d’un coup de hache. Inutile de vous dire que
ce traitement de choc est fortement déconseillé à tout autre qu’un Immortel. Mais,
dans le cas de Jupiter, il fut efficace : de son cerveau béant sortit la
cause de ses douleurs, à savoir une déesse en grandeur nature, tout habillée, le
casque en tête et la lance en main. C’était Minerve. Elle était grande, mince, brune,
avec des traits fins, des yeux verts et un regard pensif. Sa beauté était moins
provocante que celle de Vénus, mais elle était plus distinguée : si Vénus
ressemblait à Marilyn Monroe, Minerve avait plutôt le genre de Greta Garbo. Ses
qualités intellectuelles étaient plus remarquables encore que ses attraits
physiques : intelligente, réfléchie, travailleuse et douée d’un esprit
rationnel, elle fut nommée par Jupiter déesse de la sagesse et de la science. C’est
à elle que les Grecs attribuaient l’invention de l’écriture, des mathématiques,
de l’astronomie, de la navigation et, comme je vous l’ai déjà dit, des nœuds. C’est
pourquoi ils lui vouaient une admiration, une reconnaissance et un culte
particuliers.
    Comme beaucoup d’intellectuels, elle aimait travailler la
nuit, et c’est la raison pour laquelle son animal préféré était un oiseau
nocturne, la chouette, qui perchait ordinairement sur son casque. Est-ce à
cause de sa ressemblance avec mon actrice favorite ou à cause de ses qualités
intellectuelles, toujours est-il qu’elle est, je ne vous le cache pas, ma
déesse préférée. Elle était aussi la fille chérie de Jupiter.
    Il ne faudrait pourtant pas croire que Minerve fût sans
défauts. Il lui arrivait, comme à toutes les autres divinités, de faire preuve
de vanité, de jalousie ou d’esprit de vengeance.
    C’est ainsi qu’un jour, vexée d’entendre toujours vanter les
talents musicaux d’Apollon, elle avait eu l’idée de rivaliser avec lui en
inventant un instrument nouveau, une flûte en or.
    Quelques jours plus tard, comme elle s’entraînait à en jouer,
Junon, qui avait le génie de dire aux femmes