Les Dieux S'amusent
s’imaginait qu’elle allait profiter de la présence
de Thésée pendant au moins un mois ou deux, le temps pour Hercule de remplir
son contrat. Mais c’était compter sans l’exceptionnelle virilité du fils de
Jupiter : en une seule nuit, il expédia allègrement ses cinquante fiancées,
et le lendemain matin, frais comme une rose, il alla prendre livraison de la
ceinture et congé de la reine.
Quelques mois plus tard, celle-ci accouchait d’un fils, qu’elle
appela Hippolyte et que nous retrouverons bientôt. Sur le chemin du retour, les
deux cousins se séparèrent, Thésée pour aller à Athènes et Hercule pour se
rendre chez Eurysthée.
L’hydre de Lerne
La dixième mission que celui-ci confia alors à Hercule
consistait à tuer l’hydre de Lerne, un monstre affreux doté d’un corps de
serpent et de plusieurs têtes qui repoussaient lorsqu’on les coupait. Cet
animal fabuleux a posé aux mythologues, depuis plus de trois mille ans, une
énigme qui, jusqu’à ce jour, était restée sans solution. En effet, si tous les
auteurs anciens s’accordent à dire que l’hydre possédait plusieurs têtes, de
graves divergences apparaissent en revanche à propos de leur nombre exact. Certains
parlent de trois têtes, d’autres de cinq, d’autres encore de six ou de neuf.
Ovide mentionne même « cent têtes » et Euripide
désigne l’hydre comme « le monstre aux mille têtes », mais il semble
qu’il s’agisse chez ces deux auteurs de simples figures de style.
En présence d’une telle diversité d’estimations, un auteur
pressé se serait sans doute contenté d’en calculer la moyenne pondérée, ce qui
lui aurait permis d’affirmer que l’hydre de Lerne possédait 6,4 têtes. Pour ma
part, je n’ai pas cédé à cette facilité ; j’ai cherché à savoir qui, parmi
les auteurs anciens, avait raison. Mes recherches me permettent aujourd’hui d’affirmer
qu’ils avaient tous raison. La clé de ce troublant mystère m’a été fournie par
une précision que donnent plusieurs mythographes relativement au processus de
régénération des têtes de l’hydre : selon eux, chaque fois que l’on en
coupait une, il en repoussait deux. Mais alors, tout s’explique !
Lorsque Hercule, parvenu à Lerne, se trouva pour la première
fois en face de l’hydre, celle-ci ne possédait que trois têtes. Mais lorsque, de
son épée, Hercule en eut tranché une, il en repoussa deux, et leur nombre total
fut alors de quatre. À la décapitation suivante, il y en avait cinq, et ainsi
de suite jusqu’à neuf. Malgré sa lenteur d’esprit, Hercule, à qui les principes
de la progression arithmétique n’étaient pas totalement inconnus, comprit que
la méthode qu’il avait adoptée ne lui permettait pas de résoudre le problème.
Selon la plupart des mythographes, il en adopta alors une
autre, consistant à se faire aider par l’un de ses neveux, appelé Iaos, de la
façon suivante : chaque fois qu’Hercule coupait une tête, son neveu
cautérisait la plaie sanglante à l’aide d’un brandon ou d’un tison. Cette
version des faits ne me convainc guère : je ne vois pas pourquoi le
pouvoir de régénération des tissus de l’hydre, qui résistait au fer, n’aurait
pas résisté aussi au feu.
Qu’il me soit donc permis, pour une fois, de m’écarter de la
tradition et de proposer une version personnelle.
Selon moi, Hercule est allé demander une consultation à
Thésée, et celui-ci, au terme d’un raisonnement fondé sur le principe
mathématique de la réciprocité, est parvenu à la conclusion suivante : si,
lorsqu’on retranche une tête à l’hydre, II lui en pousse deux, alors, si on lui
en rajoute une, elle en perdra deux. Il conseilla donc à Hercule de greffer, à
titre d’essai, une tête de mouton sur le corps de l’hydre. Comme l’avait prévu
Thésée, et par suite sans doute d’un processus biologique de rejet, non
seulement la greffe ne prit pas, mais elle provoqua l’infection et la chute d’une
des têtes préexistantes de l’hydre. En procédant neuf fois de suite à une greffe
similaire, Hercule put ainsi se débarrasser de toutes les têtes, et l’hydre
mourut.
Hercule trempa alors la pointe de toutes les flèches de son
carquois dans le sang noir et fumant du monstre, ce qui eut pour résultat de
les empoisonner pour toujours.
Hercule était d’humeur joyeuse lorsqu’il retourna chez
Eurysthée. Celui-ci lui avait annoncé en effet, la première
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