Les Dieux S'amusent
fait. Hercule s’empara de Diomède et le
servit en pâture à ses propres chevaux. Sa chair était apparemment si dure que
les chevaux furent définitivement dégoûtés de la viande et redevinrent
végétariens.
C’est au retour de cette mission, somme toute banale, qu’Hercule
eut l’occasion d’accomplir l’un des exploits les plus surprenants de sa
carrière, et l’un des plus révélateurs de son caractère.
Admète et Alceste
Hercule avait un ami nommé Admète. Cet Admète était jeune, riche
et beau ; il avait une femme charmante nommée Alceste, et il bénéficiait
de la faveur et de la protection spéciale d’un dieu, Apollon, à qui il avait eu
l’occasion de rendre un service. Bref, Admète « avait tout pour être
heureux » et, chose surprenante, il l’était effectivement. Jusqu’au jour
où, se sentant un peu patraque, il alla voir un médecin qui lui annonça qu’il n’en
avait plus que pour quelques mois à vivre. « Mourir à vingt-cinq ans, ce n’est
pas possible », pensa Admète, qui se rendit aussitôt chez Apollon pour lui
demander de faire quelque chose pour lui.
— Je ne peux te sauver la vie, lui dit Apollon, que si
quelqu’un d’autre accepte de mourir à ta place.
— C’est facile, répondit Admète : je trouverai
bien un volontaire parmi mes nombreux serviteurs.
Mais les serviteurs à qui il s’adressa se récusèrent tous, les
uns après les autres. Ses amis ne furent pas plus coopératifs.
Il songea alors à ses parents, qui, âgés de plus de
soixante-dix ans et accablés d’infirmités diverses, ne cessaient de se plaindre
et de déclarer qu’à leur âge la vie ne valait vraiment plus la peine d’être
vécue. Admète était donc persuadé que son père ou sa mère sauteraient sur l’occasion
qui leur était offerte de quitter une vie misérable pour sauver celle de leur
fils unique. À sa grande surprise, il se heurta, chez l’un comme chez l’autre, à
un refus catégorique :
— Le soleil est doux, même aux vieillards, lui
répondirent-ils pour justifier leur refus.
Admète faisait d’amères réflexions sur l’insondable
profondeur de l’égoïsme humain lorsque sa femme Alceste, âgée, elle, de
vingt-trois ans, vint lui dire qu’elle avait décidé de se sacrifier pour lui. Admète,
faisant preuve d’un égoïsme au moins égal à celui qu’il venait de fustiger chez
ses parents, accepta sans hésiter. Quelques jours plus tard, Admète guéri
disait à sa femme mourante :
— Dussé-je vivre cent ans (et il y comptait bien), je n’oublierai
jamais ce que tu as fait pour moi ; jamais, je te le jure, je ne poserai
la main, ou même le regard, sur une autre femme.
Alceste le regarda avec une expression d’amour, mais aussi
de scepticisme, et poussa son dernier soupir.
Le convoi funèbre, mené par Admète, s’apprêtait à quitter la
maison lorsque Hercule, qui passait par là au retour de son expédition chez
Diomède et qui n’était au courant de rien, s’arrêta chez son ami avec l’intention
d’y passer quelques jours. Admète avait un sens élevé de l’hospitalité et une
grande délicatesse. Il songea que, s’il mettait Hercule au courant du décès d’Alceste,
le héros se sentirait importun et n’oserait pas demeurer sous son toit. C’est
pourquoi, comme Hercule lui demandait la raison du deuil dont il voyait les
signes, Admète lui répondit évasivement qu’une étrangère venait de mourir dans
la maison.
— Je reviendrai ce soir, ajouta-t-il ; en m’attendant,
installe-toi confortablement et fais comme chez toi.
La finesse et le tact n’étaient pas les qualités dominantes
d’Hercule. Prenant l’invitation d’Admète au pied de la lettre, il entre dans la
maison, se baigne, se change et demande qu’on lui apporte à boire. Après
quelques coupes de vin, mis en gaieté, il plaisante avec les serviteurs, lutine
les servantes, et se met à chanter à tue-tête des chansons paillardes. Irrité
par l’expression contrite et quelque peu offusquée qu’il croit percevoir chez
un domestique, il le prend violemment à partie.
— Ne fais donc pas cette tête sinistre ! lui
crie-t-il. Ne croirait-on pas que tu viens d’enterrer ta mère ?
— C’est que, lui répond le domestique, notre maîtresse
était comme une mère pour moi.
— Ta maîtresse ? s’étonne Hercule, mais je croyais
que c’était une étrangère qui venait de mourir.
Subitement dégrisé, il comprend
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