Les Dieux S'amusent
redoutables, elle alla
plonger Achille dans les eaux du fleuve Styx, qui avaient la propriété de
rendre invulnérables aux blessures toutes les parties du corps qui y avaient
été immergées. Pour procéder à cette opération, elle saisit le bébé par le
talon droit et le laissa tremper quelques instants, la tête en bas, dans les
eaux magiques du fleuve. Ayant échappé de justesse à la noyade, puis à la
pneumonie provoquée par ce bain glacé, Achille se trouva désormais protégé
définitivement contre toute espèce de blessure, sauf toutefois à son talon
droit qui n’avait pas été mouillé. Pour réparer ce petit oubli, Thétis habitua
son fils, dès son plus jeune âge, à toujours porter au pied droit une
talonnière de bronze.
Grâce à un régime alimentaire original, à base de côtelettes
de loup, de rôti de lion, de cervelle de tigre et de moelle d’ours, Thétis
réussit à faire d’Achille un formidable guerrier, célèbre par son courage, son
adresse au maniement des armes et son extraordinaire vitesse à la course, qui
lui avait valu le surnom d’« Achille aux pieds légers ». Pour
couronner le tout, il était beau comme un dieu.
Malgré les multiples précautions qu’elle avait prises pour
protéger son fils contre les hasards de la vie, Thétis était toujours inquiète
pour lui. Aussi, lorsqu’elle apprit par hasard, en prenant un verre de nectar
avec Minerve au bar de l’Olympe, qu’Agamemnon s’apprêtait à recruter Achille
pour son expédition, elle se précipita chez son fils et le supplia de ne pas
accepter :
— Cette guerre sera longue et meurtrière, lui dit-elle,
et j’ai le pressentiment qu’elle te serait fatale.
Pour faire plaisir à sa mère, Achille se laissa persuader de
quitter son royaume et d’aller se réfugier chez l’un de ses voisins, le roi
Lycomède, celui-là même qui, naguère, avait poussé Thésée du haut d’une falaise.
Lycomède fit bon accueil à Achille. S’étant informé de l’objet de sa visite, il
lui conseilla, pour échapper à la conscription, de se déguiser en femme et d’aller
se cacher dans un pensionnat de jeunes filles où personne, lui dit-il, ne
pourrait le reconnaître parmi les deux cents pensionnaires qui s’y trouvaient.
Lorsque Agamemnon, accompagné de Ménélas, Diomède, Ajax et
Ulysse, se présenta au palais d’Achille, le héros n’y était plus. Grâce à
certaines indiscrétions de ses serviteurs, Agamemnon crut comprendre qu’Achille
s’était réfugié chez Lycomède et s’y rendit aussitôt.
Lycomède montra à cette occasion le fond de sa nature. Lorsqu’il
avait assassiné Thésée, on avait pensé que ses motifs étaient purement
politiques. En réalité, Lycomède était essentiellement un envieux ; il
trahissait ses amis pour le plaisir. Sans hésiter, il révéla à Agamemnon la
cachette d’Achille. Mais Agamemnon n’en fut pas plus avancé ; car comment
reconnaître Achille parmi deux cents jeunes filles effarouchées qui se
ressemblaient toutes sous leurs voiles et leurs longues tuniques ? Avec sa
brutalité coutumière et son langage grossier, Diomède proposa :
— Qu’on les mette à poil, et on verra bien laquelle est
Achille !
Mais, au nom de la pudeur, la mère supérieure du pensionnat
s’opposa à cette suggestion.
C’est Ulysse qui trouva le moyen d’identifier Achille :
déguisé en marchand, il se présente à la mère supérieure et lui demande la
permission d’offrir à ses pensionnaires les articles qu’il transporte. On fait
venir ces demoiselles ; sur une longue table, Ulysse étale des douzaines
de foulards, de dentelles, de broches, de bagues, de bracelets et de flacons de
parfum. Au milieu de ces articles de mode féminine, il a placé, comme par
mégarde, une superbe épée et deux poignards ciselés. Toutes les jeunes filles
se précipitent sur les colifichets et se disputent pour en avoir leur part ;
toutes, sauf une qui ne s’intéresse qu’à l’épée et aux poignards, les soupèse
et en apprécie le tranchant. Ulysse n’a plus qu’à lui arracher son voile en
disant à Agamemnon :
— Voici ton homme.
Achille, confondu, ne peut se dérober à la demande d’Agamemnon.
Sa mère, Thétis, voyant que rien n’empêchera désormais Achille de participer à
la guerre, se fait un devoir de lui offrir les armes les plus somptueuses et
les plus redoutables.
Elle fait forger par Vulcain lui-même, dieu de l’industrie,
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