Les Dieux S'amusent
de ton esprit, j’aurais pu me contenter de n’en écrire que la
moitié, et tu m’aurais encore compris.
En lisant cette lettre bizarre, Ulysse comprit tout de suite
qu’elle devait contenir quelque message secret.
« Que peut bien vouloir dire Nestor lorsqu’il parle de
la moitié de cette lettre » ? se demanda-t-il. Il essaya de lire
seulement les quatre premières lignes, puis seulement les quatre dernières ;
mais cela ne donnait rien d’intéressant. Il eut alors l’idée de ne lire qu’une
ligne sur deux. Et le texte devint clair :
À l’appel que va t’adresser Agamemnon,
Ne prête surtout pas une oreille complaisante
En te faisant passer pour malade ou pour fou,
tu ne participeras pas à cette guerre.
Ulysse, à qui Agamemnon avait fait annoncer sa visite pour l’après-midi
même, comprit aussitôt de quoi il retournait et, comme le lui conseillait
Nestor, il décida de simuler la folie pour ne pas avoir à suivre Agamemnon.
Lorsque celui-ci débarqua sur l’île d’Ithaque, la première personne
qu’il vit fut Ulysse, tout nu, le regard fixe, l’expression égarée, en train de
labourer avec sa charrue le sable de la plage et d’y semer du sel, tout en
prononçant des mots sans suite :
— Ces cent saucissons chauds et ces six choux-ci sont
séchés sous châssis ; le chouchou de Sacha fait des chichis sans sa
chéchia ; Dinah dîna, dit-on, du dos dodu d’un dindon.
Agamemnon pensa d’abord que le pauvre Ulysse était devenu
complètement fou, et s’apprêtait déjà à renoncer à sa démarche, lorsque l’idée lui
vint qu’il s’agissait peut-être d’une de ces ruses dont l’esprit d’Ulysse était
fertile.
« Voyons s’il est aussi fou qu’il en a l’air », pensa-t-il,
et, s’adressant à Ulysse :
— Bonjour, ami, lui dit-il ; ne me reconnais-tu
pas ? Je suis Agamemnon, et voici Ménélas, Diogène, Ajax et quelques
autres amis ; nous sommes venus te parler d’une affaire importante.
Ulysse, imperturbable, continuait de tracer son sillon, comme
s’il n’entendait et ne voyait rien. Agamemnon ne savait plus que faire. Mais l’un
des rois qui l’accompagnaient, un certain Palamède, qui se croyait aussi
intelligent qu’Ulysse et qui, depuis longtemps, cherchait une occasion de le
prouver, a alors une idée brillante : courant au palais d’Ulysse, il
arrache le petit Télémaque des bras de sa mère et, revenant à la plage, pose l’enfant
par terre, juste devant la charrue que dirige Ulysse. Celui-ci, se voyant sur
le point d’écraser son fils, s’arrête brusquement et, oubliant sa comédie, s’exclame :
— Que fais-tu, Palamède, tu es fou ou quoi ?
— Je ne suis pas fou, lui répond Palamède, et je vois
maintenant que tu ne l’es pas plus que moi.
Pour une fois, le trompeur était trompé. Voyant sa ruse
déjouée, Ulysse n’a plus d’arguments à opposer à la demande que venait lui
faire Agamemnon ; il est forcé, à son tour, d’accepter de participer à la
guerre contre Troie.
Cependant, Agamemnon demandait à Ménélas :
— Quel est le suivant sur la liste ?
— C’est Achille, le roi des Myrmidons, lui répondit son
frère.
À ce nom, le silence se fit parmi la petite troupe qui
entourait les rois. Chacun était conscient de l’importance capitale de la
présence d’Achille dans l’expédition, car tout le monde savait qu’il était, sans
conteste, le meilleur guerrier de toute la Grèce.
Achille était un demi-dieu. Il avait en effet pour mère la
déesse Thétis, celle-là même dont le mariage avec Pelée, sur l’Olympe, avait
donné lieu à l’incident de la pomme d’or. Quant à Pelée, son père, il
descendait lui-même, par son grand-père paternel, de Jupiter. Achille avait
donc en réalité dans ses veines 62,5 % de sang divin et, pour cette raison,
on l’appelait « le divin Achille ». Il était en outre cousin germain
du grand Ajax, car le père d’Achille, Pelée, était frère du père d’Ajax, Télamon.
Lorsque Achille était né, sa mère avait consulté un oracle
pour connaître l’avenir de son fils. L’oracle lui avait répondu :
— La destinée de ton fils n’est pas encore tracée :
sa vie sera soit glorieuse mais courte, soit longue mais obscure.
Comme l’aurait fait n’importe quelle mère à sa place, Thétis
opta aussitôt pour la seconde solution et, pour protéger son fils contre les
dangers de la guerre, qui lui paraissaient les plus
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