Les Dieux S'amusent
Malheureusement pour lui, Ulysse trouva vite une parade à cet
argument :
— Écris à Clytemnestre que tu as décidé de donner
Iphigénie en mariage à Achille et que la noce doit être célébrée avant notre
départ ; elle sera ravie de donner à sa fille le plus beau parti de toute
la Grèce.
— Mais que dira Achille s’il apprend que je me suis
ainsi servi de son nom ? objecta Agamemnon.
— Achille n’a pas besoin de le savoir, répondit Ulysse.
Agamemnon dut s’exécuter. Il envoya un messager à Clytemnestre,
lui demandant de venir sans délai à Aulis avec Iphigénie, pour marier celle-ci
à Achille.
Une heure plus tard, cependant, alors que les rois s’étaient
dispersés, Agamemnon, qui ne pouvait se résigner à sacrifier sa fille, faisait
venir le plus fidèle de ses serviteurs et lui disait :
— Prends ton cheval, galope sans t’arrêter jusqu’à mon
palais, demande à voir la reine Clytemnestre et dis-lui de ma part qu’elle ne
tienne aucun compte du message que je viens de lui envoyer mais qu’au contraire,
sous aucun prétexte, elle ne vienne à Aulis avec Iphigénie.
Le serviteur part à bride abattue. Mais il n’était pas
encore sorti du camp qu’il rencontre Ménélas.
— Où cours-tu si vite ? lui demande celui-ci.
— Je n’ai pas le droit de te le dire, répond le
serviteur, embarrassé.
Ménélas insiste, cajole, menace, et le serviteur finit par
vendre la mèche. Ménélas court alors à la tente d’Agamemnon ; il accuse
son frère de duplicité et de trahison. Agamemnon fait peine à voir les larmes
aux yeux, il cherche à se justifier :
— Ménélas, dit-il, tu sais combien je t’aime et ce que
j’ai déjà fait pour t’aider. Mais comment peux-tu me demander d’envoyer ma
propre fille à la mort ? Serais-tu prêt, toi, à sacrifier ta fille
Hermione ?
Ménélas, ému, se laisse fléchir ; il ne se sent pas le
droit de sacrifier la vie d’une innocente à son désir égoïste de retrouver
Hélène et de se venger de Pâris.
— Tu as raison, dit-il à son frère, je préfère renoncer
à toute l’expédition plutôt que de commettre un tel crime.
C’est ainsi que la guerre de Troie faillit se terminer avant
même d’avoir commencé. Mais les dieux en avaient décidé autrement.
La première personne que rencontrent Agamemnon et Ménélas, en
sortant de leur tente, est Ulysse. Ils lui font part de leur intention d’annuler
l’expédition. Ulysse s’indigne :
— Quoi, vous nous avez fait quitter nos familles et nos
royaumes, lever nos armées et affréter nos vaisseaux, et vous voulez maintenant
nous congédier comme de vulgaires domestiques ? Si vous persistez dans
cette intention, j’ameuterai l’armée entière contre vous.
Agamemnon comprend qu’il est inutile de discuter.
— Tu as une langue de miel, dit-il simplement à Ulysse,
mais ton cœur est de pierre.
Le lendemain, Clytemnestre et Iphigénie arrivent au camp
sans méfiance.
— Va te promener un moment, dit Agamemnon à sa fille ;
il faut que je parle à ta mère.
Resté seul avec Clytemnestre, Agamemnon ne sait par où
commencer.
— Comment se fait-il que je n’aie vu nulle part les
préparatifs du mariage, s’étonne Clytemnestre, et où donc se trouve l’autel où
il doit être célébré ?
— Ce n’est pas un autel qui a été dressé, répond
Agamemnon, mais un bûcher.
Et il lui dit tout. Clytemnestre s’indigne ; elle
menace Agamemnon d’une vengeance implacable si jamais il met son projet à
exécution. Pendant ce temps, des soldats se sont emparés d’Iphigénie et l’ont
menée au bûcher, où elle doit être égorgée avant d’être brûlée.
Mais Achille a enfin appris qu’on s’est servi de son nom
pour attirer Iphigénie dans un guet-apens. Furieux, il court vers le lieu de l’exécution,
se place devant Iphigénie, dégaine son épée et se déclare prêt à combattre l’armée
grecque tout entière pour sauver la jeune fille. Telle est la terreur qu’inspire
Achille que nul, parmi les cent mille Grecs qui l’entourent, n’ose faire le
premier pas. Seul l’un d’entre eux, un nommé Thersyte, un ignoble personnage
boiteux, voûté, au crâne dégarni et aux yeux chassieux, qui avait la réputation
d’être à la fois le plus laid, le plus bavard, le plus grossier et le plus
lâche de toute l’armée grecque, croit devoir se faire remarquer en insultant
Achille :
— Tu faisais moins le bravache quand,
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