Les Dieux S'amusent
Lorsqu’il se dissipa, une masse
énorme apparut peu à peu aux regards des Grecs : c’était les formidables
remparts de Troie, construits jadis par Apollon et Neptune. Agamemnon comprit
aussitôt que ses troupes ne pourraient jamais les prendre d’assaut.
— La seule solution, conclut-il, est d’assiéger la
ville jusqu’à ce que ses habitants, affamés, soient contraints de se rendre.
Il ignorait que les greniers de Troie contenaient assez de
vivres pour soutenir un siège de vingt ans et qu’en outre, abritée derrière ses
murailles, l’armée troyenne était aussi puissante que l’armée grecque.
Elle était commandée par Hector, fils aîné de Priam. Vous
vous souvenez peut-être qu’Hector était, à sa naissance, un robuste bébé, et qu’un
oracle avait prédit qu’il serait la gloire de son pays et ne serait jamais
vaincu, tant que le fleuve Xanthe, qui coulait dans la plaine de Troie, ne
sortirait pas de son lit. Trente années avaient passé depuis lors, et Hector
était devenu un colosse. Doté d’une stature impressionnante, il avait acquis
une force exceptionnelle grâce à un système d’entraînement inventé, quelque
temps auparavant, par un Grec nommé Milon de Crotone. Bien que celui-ci n’ait
rien à voir avec la guerre de Troie, je ne peux résister à la tentation de vous
raconter son histoire, avant d’en revenir à Hector.
Parenthèse sur Milon de Crotone
Milon de Crotone, âgé d’une vingtaine années, s’était mis en
tête d’obtenir un triomphe aux Jeux olympiques. Pour développer sa vigueur
naturelle déjà grande, il eut un jour l’idée de parcourir au pas de course une
assez longue distance en portant sur ses épaules un jeune veau. L’exercice lui
ayant paru salutaire, il décida de le répéter les jours suivants avec le même
animal. Au début, la tâche était facile, le veau ne pesant qu’une dizaine de
kilos. Chaque jour, cependant, son poids augmentait un peu, bien que la
différence avec la veille fût imperceptible. C’est ainsi que progressivement, et
sans même s’en apercevoir, Milon portait un fardeau de plus en plus lourd. Trois
ans plus tard, c’est un taureau de quatre cents kilos qu’il portait sans effort.
Milon se présenta alors aux Olympiades et fit le tour de la piste avec le
taureau sur ses épaules, aux applaudissements de la foule. Après quoi il tua l’animal
d’un coup de poing et le mangea en trois jours.
Pendant plusieurs années, il resta le meilleur athlète de
Grèce. Mais, jour après jour, il vieillissait insensiblement, comme le taureau
avait grossi, c’est-à-dire sans qu’il s’en aperçut.
À l’âge de cinquante ans, il se croyait toujours aussi fort.
Un jour, se promenant dans une forêt, il vit des bûcherons occupés à fendre un
chêne. Malgré les coins qu’ils y avaient introduits, le tronc se refusait à
éclater.
— Je vais vous aider, dit Milon.
Il glisse ses mains dans la fente, dans l’intention d’écarter
l’une de l’autre les deux parties du tronc, et ordonne qu’on retire les coins. Le
tronc se referme alors sur ses doigts et les emprisonne. Tous les efforts pour
le dégager sont vains. La nuit venue, les bûcherons l’abandonnent. Épuisé, Milon
meurt, dévoré par les loups.
Instruit par cette expérience, Hector avait adopté un
système d’entraînement analogue à celui de Milon, tout en se promettant de ne
pas commettre ensuite la même erreur. À chaque printemps, il allait s’entraîner
au lancer du poids dans un champ de citrouilles. Au début, les citrouilles qu’il
ramassait étaient de la grosseur d’une pomme et il les lançait aisément à
cinquante mètres. Peu à peu, elles grossissaient jusqu’à atteindre dix kilos. Mais,
grâce à son entraînement régulier, Hector s’apercevait à peine de la différence.
À trente ans, il était devenu le guerrier le plus fort de
Troie. Au surplus, il était courageux, généreux et plein de bon sens. Il était
donc adoré des Troyens. Depuis qu’il commandait leur armée, le Xanthe n’était
jamais sorti de son lit, et Hector était resté invaincu.
Ce n’est pourtant pas sans inquiétude qu’il vit débarquer
sur le rivage l’armée grecque, au milieu de laquelle il pouvait voir briller, au
soleil levant, le casque, la cuirasse et le bouclier d’Achille, ce guerrier
redoutable entre tous. Hector n’était pas le seul à contempler cette armée. Du
haut de l’Olympe, les dieux, eux aussi, étaient
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